Franc-Maçonnerie et sociétés secrètes contre Napoléon

sous-titré « Naissance de la nation allemande » de Abel Douay et Gérard Hertault (Editions de la Fondation Napoléon - Nouveau Monde Editions, 2005)

par Laurent Ciarka

Lors de la tenue du 26 juin 2007 nous avons étudié le livre La Franc-maçonnerie sous l’Empire : un âge d’or , actes du colloque organisé le samedi 20 Novembre 2004 par l’Institut d’Etudes et de Recherches Maçonniques et par le Grand Orient de France, publié dans la collection Renaissance Traditionnelle dirigée par Roger Dachez.

L’objet de ce colloque portait sur les liens entre la Maçonnerie française du début du 19ème siècle et l’Empire Napoléonien. En effet, « à partir de 1804, Le Grand Orient connût un vif essor. Sous la houlette de Cambacérès, l’état-major de l’obédience comprenait alors presque tous les dignitaires de l’Empire : Regnaud de Saint-Jean d’Angely, Murat, Masséna, Kellermann, Lacépède, Gantheaume, Lannes, Maret, Augereau, Brune … En 1810, le G.O. réunissait près de 1200 loges dans les 130 départements français ! »

En fait, on ressortait de cette lecture avec une vraie curiosité pour cette période de la Maçonnerie : une organisation sous coupe réglée par la propre famille de Napoléon, une organisation renaissante oeuvrant à donner un exemple de droiture au travers de la Légion d’Honneur, un réseau national et international d’échanges d’idées et de contacts.

Pourtant, bien des questions restaient en suspens. Un autre livre permet de poursuivre le trait : Franc-Maçonnerie et sociétés secrètes contre Napoléon, paru au Nouveau Monde Edition, Fondation Napoléon, sous –titre « Naissance de la nation allemande ».

Il s’agit ici d’un livre d’historien faisant référence à la fois à l’épopée napoléonienne et à l’histoire de l’Allemagne, où les seules annexes font plus de 125 pages. L’idée maîtresse est de montrer comment ce pays s’est fédéré, dans tous les sens du mot, autour de sa lutte contre Napoléon. C’est un livre de spécialiste, qui ravira tous les connaisseurs souhaitant avoir une vision intérieure de l’Allemagne de cette époque.

A la fin du XVIIIème siècle, l’Allemagne n’existe pas vraiment. Elle compte encore 380 Etats en 1798, ramené à 82 en 1803, composé de petits duchés ou de principautés. Napoléon s’est servi de cette mosaïque pour se faire des alliés de certains d’entre eux qui voulaient grandir sous la protection française.

La Prusse était tentée par cette alliance même si, au même moment, elle cherchait aussi à se rapprocher de la Russie, du Royaume Uni ou de l’Autriche. Elle comptait aussi beaucoup sur son armée, réputée invincible depuis la victoire de Rosbach en 1757 sous le règne de Frédéric II. Pourtant, en octobre 1806, cette armée fut balayée en 6 jours, du 8 au 14, date de la bataille de Iéna, suivi de la prise de quelques places fortes comme celle de Küstrin le 31 octobre ou encore celle d’Hameln le 22 novembre. Il apparut que cette armée était en fait sclérosée, rigide avec un commandement très hiérarchisé bloquant toute initiative.

Napoléon voulut punir la Prusse dans le traité de Tilsit négocié du 26 juin au 8 juillet 2007 et signé le 9 juillet à Konigsberg. Négocié avant tout entre la Russie et la France, il découpait la Prusse en plusieurs parties et lui imposait une indemnité de guerre extrêmement élevée.

Les griefs des allemands devinrent nombreux. En premier lieu, le peuple s’est appauvri, à la fois par la difficulté de commercer et du fait des impôts destinés à payer l’indemnité de guerre. Ensuite, les français cherchèrent à s’imposer et par là même, vexèrent les prussiens dans leur conscience nationale, par exemple en faisant chanter des te deum dans les églises à chaque victoire française, en emportant des sculptures ou les reliques de Frédéric II, ou par manque d’égard pour la reine Louise de Prusse, connue pour son patriotisme.

Pour autant, au-delà de toutes les vexations et privations, encore fallait-il qu’un mouvement ou une organisation fédère les mécontentements et donne une vision de l’avenir. C’est en cela que la maçonnerie allemande a joué un rôle important.

Elle est apparue très tôt en Prusse et le roi Frédéric II fut initié dans la nuit du 14 août 1738 à Brunswick. Il initia ensuite son propre frère, Guillaume. Le roi Frédéric-Guillaume III fut semble-t-il initié en 1814 dans une loge militaire russe. D’une façon générale, les liens furent très serrés entre la famille royale prussienne et la maçonnerie ce qui eu pour conséquence un pourcentage considérable de nobles parmi les 54 000 maçons prussiens. Ces maçons constituaient à la fois une force unie, structurée, discrète et éduquée. Et à travers elle, c’est la quasi-totalité des grands hommes de Prusse de cette époque qui se dressa contre Napoléon.

Il faut pourtant noter les rapports particuliers entre maçons allemands et français donc ennemis. Ces rapports furent la plupart du temps neutres et parfois amicaux. A plusieurs reprises, ces contacts revêtirent un caractère humaniste, souligné par la maxime de Jeandres : « Il semble incontestable que pendant plus d’un siècle, la franc-maçonnerie militaire a contribué à adoucir les malheurs inutiles de la guerre ».

On peut ainsi constater un traitement de faveur accordé par les occupants français aux loges allemandes. De nombreuses loges allemandes utilisaient le français pour leurs travaux avec les frères français. Plus encore, des loges allemandes mettaient leurs locaux à disposition des loges de campagne françaises dans l’espoir de bénéficier de conditions plus clémentes pour eux et leurs compatriotes, ce qui semble effectivement avoir été le cas. En retour, quand les victoires eurent changé de camp, les actions humanitaires en faveur des soldats français furent si nombreuses qu’un livre leur a été consacré.

Pourtant, malgré toutes les recherches faites depuis cette période y compris par les nazis, aucune trace de trahison ou de communication de secret de guerre ne fut relevée entre maçons allemands et maçons français.

Pour les raisons évoquées plus haut, le sentiment anti-français s’est répandu dans toutes les couches de la population. La lutte ne s’est pas faite directement par la Maçonnerie mais par l’intermédiaire de sociétés secrètes qui ont elles-mêmes démultiplié la volonté d’unité et de révolte. On peut noter que certains vénérables ont d’ailleurs lutté contre l’adhésion de leurs membres à ces sociétés secrètes. Les Loges quant à elles, se sont consacrées à l’aide aux populations par des dons ou des actions de bénévolat.

En avril 1808, quelques frères se lancent dans la création d’une société secrète : le « Tugendbund », la Ligue de Vertu. Elle fut le jouet d’un jeu politique complexe entre prussiens, depuis le Roi contre la Reine, de certains vénérables contre des frères ou de ministres entre eux, car certains pensaient qu’il fallait privilégier la paix avec les français, d’autres y ont vu la création d’une sorte de police politique ou police parallèle.

En effet, elle s’était fixée entre autre comme mission de rechercher et d’obtenir des renseignements sur les bons et mauvais sujets, c’est-à-dire entre les anti et les pros-français et de rendre les mauvais sujets meilleurs en délivrant des lettres de mise en garde. Aussi, même si un ministre prussien s’opposa à la création de cette ligue, elle obtint malgré tout l’autorisation de création du Roi, influencé par la Reine, Louise de Prusse. Le 2 novembre 1808, la Ligue de Vertu imagina aussi de créer des établissements publics basés sur le sport pour prendre en main la jeunesse du pays.

Elle fut dissoute le 31 décembre 1809 par le Roi après l’ensemble des révoltes de cette année passée, car il finit par craindre que l’influence grandissante de cette ligue dans toutes les couches de la population ne finissent par alerter Napoléon.

L’association profita pourtant de son élan pendant encore 5 ans, en toute clandestinité. Elle réussit à atteindre son but en menant le peuple à la révolte mais il restait encore à moderniser le pays, l’armée et surtout réunir l’Allemagne en un seul pays.

Notons pour finir que si le titre du livre met en avant la Franc-Maçonnerie, ce n’est pas vraiment ce que l’on retrouve dans l’ouvrage puisque cette partie qui ne représente que 40 pages environ sur 460.