La Franc-maçonnerie sous l’Empire : Un âge d’or ?

Editions Dervy, 2007, 18€.

par Laurent Ciarka.

Il s’agit en réalité des actes du colloque organisé le samedi 20 Novembre 2004 par l’Institut d’Etudes et de Recherches Maçonniques et par le Grand Orient de France, publié dans la collection Renaissance Traditionnelle dirigée par Roger Dachez.

L’objet de ce colloque qui s’est tenu dans le « Temple Arthur Groussier » et qui fut dirigé l’après-midi par le prince Charles Napoléon, porte sur les liens entre la Maçonnerie du début du 19ème siècle et l’Empire Napoléonien. En effet, « à partir de 1804, Le Grand Orient connaît un vif essor. Sous la houlette de Cambacérès, l’état-major de l’obédience comprend alors presque tous les dignitaires de l’Empire : Regnaud de Saint-Jean d’Angely, Murat, Masséna, Kellermann, Lacépède, Gantheaume, Lannes, Maret, Augereau, Brune … En 1810, il réunit près de 1200 loges dans les 130 départements français ! »

Alors, au plan national, « quelle signification doit-on donner à la gestion directe et attentive de l’Ordre par Cambacérès, le numéro 2 du régime impérial ? Comment évaluer la dimension maçonnique, souvent présente, dans les différents rouages du pouvoir ? Sur le terrain, quel rôle les loges jouaient-elles dans la géographie du pouvoir des départements ? (…) ».

C’est à ces questions et à quelques autres que ce livre tente de répondre, mais en ouvrant aussi d’autres interrogations que nous verrons à la fin.

Evidemment, l’intérêt de chaque contribution est fonction des centres d’intérêt du lecteur, la 4e notamment nous apporte une clé de lecture sociale et politique sur la fondation du REAA en France.

On pourra noter la progression de ce livre qui part du plan large, c’est-à-dire des liens entre Empire et Maçonnerie, pour resserrer ensuite sur la vie des loges dans leur département de province, et arriver enfin à l’individu, avec l’évocation du parcours philosophique et moral d’un maçon de Coulommiers.

La première contribution pose une question : a-t-il existé une conception gouvernementale d’« instrumentalisation » de l’Art Royal ? Cet article porte en effet sur le lien entre Maçonnerie et Empire au plus haut niveau et sur celui qui semble en avoir été le théoricien : le maçon Jean-Etienne-Marie Portalis.

Après une période difficile qui le voit condamné pendant la Révolution à la déportation à Ouessant, il s’exile en Suisse puis revient en France après la Terreur. Au-delà des nombreuses distinctions dont il a été l’objet après son exil, il a été Conseiller d’Etat en charge de toutes les affaires de culte en Septembre 1800 puis Ministre des Cultes en 1804. Il est aussi l’un des principaux artisans du code civil. Très proche de Cambacérès et de Napoléon, il trouvait dangereux de donner trop de consistance à certaines associations. En tant que Ministre, il se refusa à faire de la maçonnerie le cinquième culte reconnu et ne lui accepta pas un statut explicitement légal en tant que confrérie.

Pour autant, il fit en sorte que la maçonnerie, qui avait failli disparaître pendant la période révolutionnaire, en particulier entre 1792 et 1795, bénéficie d’une large protection du prince en échange, pour les obédiences, de faire la police en leur sein et de manifester, à tout moment, leur loyalisme.

Ainsi, les loges napoléoniennes durent, comme sous l’Ancien Régime, donner sans cesse des gages de loyalisme envers le système consulaire, puis impérial. Pour autant, les maçons ne furent pas successivement et parfois en quelques semaines, royalistes, bonapartistes, puis à nouveau royalistes puis bonapartistes et encore royalistes ! Simplement, les obédiences maçonniques ayant pignon sur rue mais seulement à titre précaire et révocable, firent allégeance sans trop barguigner, aux gouvernements successifs.

La deuxième contribution étudie la réalité d’un lien entre francs-maçons et receveurs généraux des finances. L’auteur note une ressemblance d’attitude, en particulier dans le culte du secret. Il note également que les receveurs doivent fournir un cautionnement, signe de leur richesse et garantie pour l’Etat du recouvrement des impôts. Les receveurs créeront aussi entre eux et avec l’étranger un réseau qui rappelle celui de la maçonnerie. Pour autant, il conclut que « les Loges ne sont pas un repaire d’affairistes mais seulement un centre d’union si cher à l’Ordre » : elles offrent seulement un cadre discret à des conversations financières.

Pierre Mollier nous relate ensuite les débuts de la Légion d’Honneur dans la 3ème contribution. Ses deux premiers organisateurs sont le général Mathieu Dumas et Lacépède, ce dernier initié plus de 10 ans avant la révolution à l’âge de 22 ans. Ils sont des maçons notoires et durent faire face d’emblée à la nécessité de mettre en place une administration spécifique pour organiser la Légion d’Honneur.

Pierre Mollier nous dépeint en particulier une réunion de la Respectable Loge « Les Commandeurs du Mont Thabor ». On découvre qu’au moins 11 frères de cet atelier travaillent à la Grande Chancellerie et que sa devise, « Honneur et Patrie », est aussi la devise de la Légion d’Honneur. L’un de ces frères, Joseph Lavallée, à la fois Chef de la 5ème Division de la Grande Chancellerie et Vénérable Maître de cette Loge, se verra confier la tâche essentielle de rédiger le premier livre sur le nouvel ordre. Bref, il semble que pour Pierre Mollier, la cause soit entendue : la Légion d’Honneur est le fruit du travail de ces maçons.

Vient ensuite l’article rédigé par Laurence Chatel de Brancion :

« Le duodi 12 frimaire an XIII, (soit le 3 décembre 1804), lendemain de la cérémonie des Sacres et Couronnements de l’Empereur et de l’Impératrice, (…), d’élégantes voitures viennent déposer les princes Joseph et Louis, frères de Napoléon, l’archichancelier Cambacérès, l’architrésorier Lebrun, les maréchaux Murat, Soult, Masséna, Lannes, Kellermann », et bien d’autres notables pour une autre cérémonie : celle de la signature du Concordat entre l’obédience du Grand Orient de France et celle du Rite Ecossais. Un frère de l’Empereur est nommé à la tête de chaque organisation.

Alors pourquoi cette cérémonie alors que le Grand Orient avait toujours repoussé le Rite Ecossais jusque là ?

En premier, le Prince Louis Bonaparte est devenu le Grand Maître du Suprême Conseil pour la France des Souverains grands inspecteurs du 33ème et dernier degré du REAA le 22 Septembre. Le Prince Joseph Bonaparte, quant à lui, parait sur la liste des officiers du Grand Orient le 14 Novembre.

« Entre temps, Cambacérès avait consulté tout le monde et le texte d’un concordat circule entre les deux obédiences pour aboutir à la cérémonie fixée très significativement au lendemain du Sacre. »

En fait, il devenait nécessaire de concilier les deux organisations maçonniques car les émigrés rentrent en France et ramènent avec eux le Rite Ecossais. Du point de vue du pouvoir en place, il faut les inclure dans l’organisation maçonnique, à la fois pour les contrôler mais surtout pour bénéficier de leurs contacts à l’étranger.

En particulier, un enjeu stratégique consiste à couper les Etats-Unis de l’Angleterre alors en guerre avec la France et les contacts avec la maçonnerie américaine sont précieux. Egalement, ces contacts permettent aussi de préserver les relations avec le Vatican par l’intermédiaire, notamment, de son Secrétaire d’Etat, Consalvi. Enfin, ils servent à créer des liens privilégiés avec les administrations des pays sous tutelle de la France et ce, en parallèle des organigrammes officiels.

Ainsi, « dans cette volonté de structuration du mouvement maçonnique initié à Paris à la fin de 1804, il faut voir un projet précis d’établissement et de régulation d’un courant culturel fort, destiné à toute l’Europe. Les avantages pour le gouvernement français en étaient évidents : approche facilité des hommes en place, fonctions de renseignement, rôle de bienfaisance que les réformes introduites précédemment rendaient vacant et surtout cellules de réflexion qui véhiculent les idées de Paris. »

Après ces 4 premières contributions, 9 autres suivent et finissent par donner une image en relief de la maçonnerie de cette époque. Certaines donnent des faits, d’autres sont plus analytiques.

Bref, on sort de cette lecture avec une vraie curiosité pour cette période de la Maçonnerie : une organisation sous coupe réglée par la propre famille de Napoléon, une organisation renaissante oeuvrant à donner un exemple de droiture au travers de la Légion d’Honneur, un réseau national et international d’échanges d’idées et de contacts.

Bien sûr des questions demeurent : quelle a été la vision de Napoléon pour la maçonnerie? Autrement dit, a-t-il été opportuniste sur cette question ou a-t-elle fait l’objet d’un plan dès son arrivée au pouvoir, ou même plus tôt ? Quant aux maçons, se sont-ils arrêtés à cette vocation de réseau ou avaient-ils aussi une vision symbolique et laquelle ?

Ce livre nous pousse à nous interroger sur notre époque : si la maçonnerie a été aussi présente aux cotés du pouvoir, est-ce aussi le cas de nos jours ? Si oui dans quels buts et avec quels résultats ? Si non, quelle est l’organisation qui la remplace ?

Pour conclure, il s’agit indéniablement d’un livre riche mais pas forcément facile d’accès !

Discussion :

Peut-on établir un parallèle avec la maçonnerie anglaise ? Mutatis Mutandis, le duc Sussex, GM de la GLUA de 1813 à 1843, n’a-t-il pas essayé lui aussi d’adapter la franc-maçonnerie aux besoins de l’Empire britannique ?

Bibliographie : François Collaveri, Napoléon, empereur franc-maçon ? et La Franc-Maçonnerie des Bonaparte (Payot, 2007, Nouv. éd.-, 23 euros).

Jean Tulard, Napoléon franc-maçon.