Deux grandes revues obédentielles françaises

par Pierre Lachkareff

Deux des plus grandes obédiences françaises font paraître à peu près en même temps des numéros étoffés et, pourrait-on dire « spéciaux » de leur revue « phare » respectives. Il s’agit d’une part du N° 148 de « Points de vue initiatiques » juin 2008, édité par la Grande Loge de France, au prix de 7 euros, intitulé : « La Tradition, les Traditions et la Tradition écossaise », d’autre part du N° 68 de « Villard de Honnecourt », édité par la Grande Loge Nationale Française au prix de 28 euros, intitulé : « L’initiation au sein de la franc-maçonnerie régulière ». Y a t il là autre chose que les hasards du calendrier ? En effet, ces deux livraisons se présentent, l’une en le disant tout à fait, (Villard), l’autre en le laissant assez clairement entendre, (PVI), comme de véritables « défense et illustration » du projet spirituel de leur obédience.

En ce qui concerne Villard, on s’aperçoit que cette revue dite de « recherche » l’est de moins en moins. On peut d’ailleurs suivre cette évolution depuis sa création en 1980, les responsables ayant eu la bonne idée de reproduire les sommaires de tous les numéros. Cela mériterait à soi seul une petite étude. Pour le reste, il s’agit d’une sorte de « bréviaire philosophique » à l’usage des loges et des frères. Sans la nommer expressément, dans son avant-propos, Francis Bardot critique la maçonnerie d’outre-manche en notant que « nous constatons en effet que les Grandes Loges régulières qui n’ont conservé de notre institution que les aspects-club et organisation humanitaire, délaissant l’aspect proprement initiatique et spéculatif, subissent une perte d’effectifs considérable (…) ». Au contraire la GLNF prétend porter haut le flambeau initiatique et spéculatif et « donner du sens » dans un monde qui en est de plus en plus dépourvu. Le « programme » est donné en huit points. Par exemple : « La Franc-Maçonnerie traditionnelle et régulière peut et doit rappeler aux hommes du XXIe siècle que ce n’est qu’en se changeant soi-même que l’on peut changer le monde (vérité, société et connaissance de soi) » ; ou encore : « La Franc-Maçonnerie traditionnelle et régulière peut et doit participer à la redéfinition du concept de vérité. » Ces huit points font ensuite l’objet de neuf longs articles d’illustration, eux-mêmes précédés d’une introduction en français, espagnol et anglais, sans doute en direction des obédiences étrangères « clubistes ». L’ensemble est fort cultivé ; l’ouverture de compas « philosophique » est très grande puisque cela va de Platon à Paul Ricœur, en passant par Pascal, Jean-Pierre Changeux, Maître Eckhart, François Cheng, etc. Toutefois, comme dans la plupart des exercices de ce genre, la part spécifique de la maçonnerie n’apparaît, dirait-on, que comme l’écume, certes brillante, sur les vagues de cet immense Océan spéculatif, mais écume tout de même. Il est bien difficile d’en tirer (et c’est heureux) une doctrine particulière à la GLNF, sinon que l’ensemble apparaît un peu comme l’expression d’un spiritualisme modernisé.

Discussion :

Ce numéro de Points de vue initiatiques est l’image même de la récupération de l’imaginaire Ecossais. En se coupant totalement de la réalité, il est tout à fait possible de construire un discours apparemment cohérent mais qui, en vérité, ne fait qu’illustrer par bien des aspects un certain désastre intellectuel – pour ne pas dire plus- de la Maçonnerie française. Et ce ne sont pas les illustrations de type New Age qui relèveront le niveau. Et pourtant la Grande Loge de France possède un très riche fonds d’archives. Que ne les exploite-t-elle ? Plus généralement, on peut poser la question de la capacité qu’a une institution comme la Franc-maçonnerie à s’interroger sur son histoire et à l’accepter. En effet, elle vit et se développe non pas in illo tempore mais ici et maintenant. Et ceci vaut pour la Maçonnerie française comme pour toutes les maçonneries du monde.