Les hauts grades écossais au féminin,

Le Suprême Conseil Féminin de France par Andrée Buisine

Edition Conform, 2007,

par Thierry Boudignon

Ce livre d’un peu plus d’une centaine de pages a reçu le prix littéraire 2007 de l’Institut Maçonnique de France dans la catégorie histoire. Outre son objet propre, il permet de se familiariser avec la hiérarchie des grades ou degrés du Rite Ecossais Ancien et Accepté et des organismes qui les gèrent en même temps qu’il témoigne de l’évolution des esprits vis-à-vis de la franc-maçonnerie féminine. Deux problèmes se posaient : le premier est le regard des hommes sur la franc-maçonnerie féminine. Ce fut d’abord, au début des années 1960, un refus de transmettre les hauts grades, puis une communication des textes rituels accompagnés de conseils et enfin une évolution vers une reconnaissance pure et simple qui est déjà chose faite pour les grades bleus. Le second problème est celui de l’appréhension de la franc-maçonnerie par les femmes et celui de la nature de l’initiation féminine.

1° La Grande Loge Féminine de France (1er au 3 grade ou degré)

Point n’est besoin de remonter au manuscrit Regius (fin du XIVe siècle) pour raconter l’histoire du Suprême Conseil Féminin de France tant il est vrai qu’un résumé lapidaire de l’histoire des origines de la franc-maçonnerie en général, de la franc-maçonnerie féminine et celle du Rite Ecossais Ancien et Accepté en particulier n’est guère chose facile. L’année 1945 est un point de départ plus approprié même s’il a existé antérieurement une maçonnerie féminine en France. Cette année-là voit la création de L’Union Maçonnique Féminine de France qui pratique le rituel d’adoption spécifiquement féminin, sans référence au métier de bâtisseur.

En 1952, cette Union Maçonnique Féminine de France se transforme en Grande Loge Féminine de France.

En 1959, la GLFF adopte le REAA des 3 premiers grades en remplacement du rite d’adoption. Ce fut le résultat d’un long débat sur l’initiation féminine. Est-ce que celle-ci a des caractéristiques telles qu’elle mériterait des rituels spécifiques ou bien est-ce que l’universalisme maçonnique concerne aussi la part féminine qui est en chaque être humain ? Gisèle Faivre, opposée à une féminisation des rituels qui seraient considérés comme « masculin », estimait dès 1947 que « le symbolisme féminin a le devoir de rester fidèle à l’écossisme ». C’est ce qui sera fait. Une seule loge conservera le rite d’adoption, la loge Cosmos.

2° Le Chapitre (4è au 18e grade ou degré)

Dès lors que la pratique du REAA était adoptée se posait la question des hauts grades. Aucune transmission n’apparaissant possible en France, ni de la part du Suprême Conseil de France, ni du Grand Orient de France, ni de la fédération française du Droit Humain, c’est vers l’Angleterre que se tournent les sœurs et particulièrement vers l’Ancient Free and Accepted Masonry (AFAM) qui avait son siège à Maida Vale à Londres. Cet ordre mixte dans son principe, fondé en 1925, était une scission de la fédération anglaise du Droit Humain et pratique un système rituel hybride comprenant aussi bien des grades de la tradition anglaise comme l’installation ésotérique ou l’Arc Royal que les grades du REAA. Il avait été dirigé par une grande personnalité maçonnique, Miss Aimée Bosswell-Gosse fondatrice d’une célèbre revue d’érudition maçonnique, The Co-mason, devenue en 1925 The Speculative Mason, revue dont René Guénon lui-même faisait grand cas et il n’était pas le seul puisque Joannis Corneloup et Marius Lepage et la revue Le Symbolisme sont également à citer.

En septembre 1962, Miss Debenham qui avait pris la succession de Miss Aimée Bosswell-Gosse, Très Puissant Souverain Grand Commandeur, vint à Paris, à l’invitation de Gisèle Faivre et Andrée Buisine, pour un premier contact.

Le 10 mai 1964, c’est la première étape de la délivrance des hauts grades du REAA avec le 18e grade (Chevalier Rose-Croix) dans la perspective de la création d’un chapitre Rose-Croix. Le rituel utilisé est celui d’Heredom de Kilwinning. Il sera pratiqué par ce chapitre jusqu’en 1987 au sein du Suprême Conseil Féminin de France puis remis en vigueur en 2005 sans doute après la création en France par l’AFAM d’un nouveau chapitre Perit Ut Vivat n° 2 pratiquant le dit rituel.

Le 25 septembre 1965, le 1er chapitre Rose-Croix du futur SCFF, le Souverain chapitre La Rose noire du Silence, nom tiré d’un opuscule de Miss Bosswell-Gosse La Rose Immortelle, est consacré.

Dès le 22 novembre 1965, ce chapitre crée la 1ère loge de Perfection qui gère les grades du 4e au 14e, en réalité les 9e, 12e, 13e et 14e dont les textes sont transmis par le Suprême Conseil de France (rue Puteaux). En 1967, le Chapitre est reçu au convent de la Grande Loge Féminine de France.

3° Le Suprême Conseil Féminin de France.

Toujours par le biais de l’AFAM, les sœurs reçoivent d’abord le 30e grade ou degré (chevalier Kadosh) en 1969 ce qui leur permettra de constituer un aréopage (19è au 30e grade ou degré) qui prendra la nom de Energie créatrice le 6 avril 1971. Cette même année 1969, les sœurs reçoivent le 31e grade ou degré pour constituer un Souverain Grand Tribunal puis le 32e grade ou degré pour constituer un Consistoire.

Enfin, le 19 avril 1970, « jour d’apothéose pour la franc-maçonnerie féminine française », les sœurs reçoivent le nec plus ultra, le 33e grade ou degré, pour constituer le Suprême Conseil Féminin de France, le premier Suprême Conseil féminin du monde, dont la première Très Puissant Grand Souverain Commandeur qui prendra plus tard et plus modestement en s’alignant sur le Suprême Conseil de France le titre de « Grand Commandeur » est Gisèle Faivre.

Le SCFF se réunit d’abord chez Gisèle Faivre et autres appartements privés, puis à partir de 1987 dans les locaux de la GLFF, rue du Couvent à Paris, de 1990 à 2006, rue du Rendez-vous (XIIe) et enfin depuis 2006, rue des Rondeaux dans le XXe. A partir de 1998, toutes les sœurs de la GLFF et du SCFF, du 1er au 33e grade ou degré, portent une robe noire. Les rituels seront plus ou moins adaptés de ceux du SCF.

Le SCFF se veut un suprême conseil comme les autres, c’est-à-dire se référant à deux évènements ou textes majeurs du REAA, les Grandes Constitutions de 1786 et le Convent de Lausanne de 1875.

Outre son activité en France, le SCFF a œuvré pour le développement du REAA féminin dans le monde. A l’heure actuelle ont été fondés un Suprême Conseil féminin en Italie, au Chili (2005). C’est également en bonne voie au Portugal, en Afrique de l’Ouest. Des jalons sont posés en Espagne, au Venezuela et au Mexique.

Le livre se termine par l’évocation de grandes figures du SCFF, Gisèle Faivre (1902-1997), Blanche Albert (1913-2004), et autres personnalités telles Marjory Cecily Debenham (1893-1990), et par la liste des Loges de Perfection, des Chapitres, Aréopages, du Souverain Grand Tribunal et du Consistoire.

Bibliographie :

Comment la Franc-Maçonnerie vint aux femmes : deux siècles de Franc-Maçonnerie d'adoption, féminine et mixte en France 1740-1940, par Gisèle et Yves Hivert-Messeca, Editions Dervy.