Histoires de secrets
par Pierre Lachkareff
Voici trois publications très différentes, qui paraissent toutefois tenir ensemble par un lien qui est la notion de secret et toutes les problématiques qu’elle engendre, soit d’une institution à d’autres comme c’est rédhibitoirement le cas par exemple entre l’Eglise catholique et la Franc-maçonnerie, soit plus généralement face à une opinion publique travaillée comme jamais par des médias de masse utilisant les thématiques du secret ou du complot avec une vigueur mercantile qui fait peur à voir.
POLITICA HERMETICA.N° 21 – 2007. LA TENTATION DU SECRET. Groupes et sociétés initiatiques entre ésotérisme et politique du XVIIIe au XXe siècle. Ed. L’Age d’Homme. 16 euros.
Comme c’est souvent le cas avec la livraison annuelle de la société Politica Hermetica, il n’y a comme on dit « rien à jeter » dans ce nouveau volume. Mais parmi toutes ces excellentes contributions, trois sont plus spécialement aptes à retenir notre attention.
La première est celle d’Emile Poulat : « L’Eglise catholique, le secret et les sociétés secrètes ». À la source de ce secret, qui comme l’écrit Emile Poulat, est notre quotidien, l’ordinaire de nos jours comme l’air que nous respirons, il y a le secret de la nature que notre « libido sciendi » s’acharne à percer en ne cessant de fabriquer de l’inconnu. Et puis il y a ce secret sur lequel repose le temps de l’Histoire et les sociétés humaines : le lien ou le liant social, qu’aucun sociologue n’a jamais réussi à percer ; et enfin le secret « cultivé » et cela sous une infinité de formes, avec la question de sa place circonstancielle ou déterminante : simple précaution ou bien loi du monde suggérant des hypothèses comme celles de sa centralité souterraine, des autorités invisibles ou des supérieurs inconnus ? Nous atteignons ici, rappelle Poulat, un troisième niveau, celui du secret « ultime », celui qui selon Barruel ou ses émules explique la Révolution Française, ou celui qu’ont délivré tant d’apparitions mariales, de La Salette à Fatima. Y aurait-il donc une lutte éternelle entre la cité obscure de Satan et celle lumineuse de Dieu ? Opposition trop simple, Dieu étant aussi celui de la « nuit obscure des mystiques, et devenant au XVIIe siècle le Dieu caché.
Dans ce cadre général, l’Eglise apparaît comme un cas privilégié voir un paradigme où voisinent et se combinent le secret de l’Eglise et le secret dans l’Eglise, son « Mystère » et ses cultures du secret, entre le secret d’un événement passé inaperçu, la naissance du Christ ainsi que la persistance miraculeuse de communautés chrétiennes et le mystère du culte, l’ancienne discipline de l’arcane. « Toute la question est de savoir, dit Poulat, s’il existe une relation et laquelle entre ce secret du culte et la culture du secret, voir le culte du secret qui s’est développé dans l’Eglise depuis deux siècles. Il semble assez lâche comparé à la pratique des Etats. C’est plutôt une commodité de pouvoir, d’autant que récemment bien des « secrets » ont été éventés en partie. » Quant au secret de la confession, Emile Poulat rappelle que c’est proprement un acte du culte, pour lequel le droit canon ne parle pas de secret mais de « sceau » pour lequel expliquait un jour le cardinal Lustiger à des avocats et des magistrats étonnés, un prêtre devait être prêt à aller jusqu’à la mort.
Quant à l’attitude des Eglises envers les sociétés secrètes dont la Franc-maçonnerie est le paradigme, ce n’est pas le secret qui est condamnable, mais l’ensemble des raisons allant au-delà du secret en soi, vers ce que cache le secret et ce qui le motive. D’autres sociétés sans secret du tout sont en effet tout aussi prohibées et la société à secret fait donc partie d’un ensemble bien plus vaste. En outre, ce qui préoccupe le clergé, bien plus que les hautes raisons de la condamnation, ce sont les effets pratiques de celle-ci, privation de certains sacrements, etc. Et donc, encore, il est possible et licite qu’il y ait des sociétés secrètes voire même des actions secrètes dans l’Eglise. Là-dessus, Poulat en cite un certain nombre, depuis la Compagnie du Saint Sacrement jusqu’à l’Opus Dei. Mais, ajoute-t-il, l’essentiel est que ce secret ou ces secrets soient connus des autorités catholiques. Ainsi, paradoxalement, Pie X prodigua-t-il ses encouragements au Sodalitium Pianum, mais lui refusa l’approbation canonique, car ce dernier, connu du Pape entendait n’être connu que par lui seul et demeurer ignoré des évêques. Le véritable problème pour l’Eglise catholique est à chercher ailleurs. Il est que les poids respectifs de sa position longtemps éminente et de sa longue tradition de lutte contre l’hérésie font qu’elle a beaucoup de mal à reconnaître une fonction sinon positive, du moins innocente, à tout ce qui se développe en dehors d’elle et qui tend à relativiser les frontières confessionnelles. Pour ce qui est de la Franc-maçonnerie proprement dite, après avoir rappelé les secrets maçonniques et souligné la complexité de leur maniement, Emile Poulat écrit : « L’absence de secret ferait de la maçonnerie une sorte de Rotary tandis que le véritable secret de la maçonnerie est « intransmissible » et « incommunicable » : c’est celui d’une expérience vécue, l’expérience d’une fraternité d’hommes libres malgré tout ce qui peut les séparer, d’hommes affranchis intérieurement de tout ce qu’impose aveuglément à ses membres une société pour légitimer et assurer son ordre établi. On reconnaîtra sans peine dans ce secret l’esprit des Lumières et la menace qu’il représentait, en première ligne, pour l’Eglise catholique. La condamnation précoce de la maçonnerie par la papauté n’est qu’un épisode de son opposition décidée à cet esprit, laquelle opposition (…) s’est perpétuée jusqu’à nous sous la forme du catholicisme intransigeant. » Il conclut, et c’est important pour ce qui va suivre, que même si on est plutôt passé de l’anathème au dialogue, il faut admettre qu’aucune bonne information, aussi précise et honnête fut elle, ne suffit à désarmer un adversaire et que même si l’hostilité de l’Eglise envers la maçonnerie peut nous apparaître anachronique, « il y faut une attention soutenue, du savoir et de l’intelligence, et que si le dialogue ouvre un avenir nouveau, ce sera sans doute que ces raisons (celles de l’Eglise) ne sont pas solubles dans l’irénisme. »
Ceci amène naturellement à examiner un autre livre : Peut-on être chrétien et franc-maçon ? de Mgr. Dominique Rey, aux éditions Salvator. 9,50 euros.
D’après une très bonne source, Mgr. Rey, évêque de Fréjus Toulon, ne fait pas vraiment partie de l’aile progressiste de l’épiscopat français. Par exemple, c’est lui qui avait demandé aux fidèles, en 2007, de boycotter le Téléthon à cause des recherches sur l’embryon, et plus récemment, il est l’un des cinq évêques à avoir apporté son soutien à une marche contre l’avortement qui s’est déroulé à Paris le 21 janvier dernier. Ce livre apporte-t-il du neuf ? Pas vraiment. Ainsi, beaucoup de pages sont reprises telles quelles d’un texte produit en 2003 par Mgr. Brincard, évêque du Puy-en-Velay. Cependant on y trouve des éléments d’argumentation puisés à des sources inattendues. Ainsi, la parenté des rites maçonniques avec les initiations païennes gréco-romaines est considérée comme « indéniable ». Après avoir reproché aux Constitutions de 1723 de ne faire aucune référence à Dieu en J.C., ni au salut, ni au péché, il semble que la grande affaire en France soit, outre l’accueil en loge des déistes, gnostiques, athées, la présence d’ecclésiastiques gallicans. L’hostilité de l’Eglise porte moins sur la foi que sur l’irrespect de la « loi naturelle » qui veut des activités conformes au lien authentique selon le désir et la volonté de Dieu, à laquelle s’oppose l’ouverture humaniste et spiritualiste maçonnique. Pour illustration, on fait appel à un texte de Paul Gourdeau, passé GM du GODF, qui oppose esprit des Lumières et esprit dogmatique. La condamnation, outre des raisons assez classiques, porte d’abord sur « l’ésotérisme » et la culture du « secret pour le secret ». Et, à ce propos, l’auteur n’hésite pas à citer… Dan Brown, à propos du mystère du Graal ! Ensuite, il est précisé « qu’opérative ou spéculative » la maçonnerie est de type gnostique et que l’on y « acquiert » (sic) une « Tradition Primordiale » qui est au mieux celle d’une intelligence humaine, opinion qui surprendrait fort nos amis guénoniens ! D’autres chapitres s’attachent sans surprise à justifier la condamnation sur divers autres plans théologiques ou éthiques, avec une nuance touchant les personnes : « pas d’anathème sur elles ». Le fond, surgissant à plusieurs reprises, semble bien être celui d’une « concurrence » qu’exerce la maçonnerie à l’égard des sacrements chrétiens, laquelle concurrence ne serait en l’objet ni libre ni non faussée si l’on me permet cette impertinence. Mais au-delà de ce « feu de tous bois », l’intérêt principal de ce petit livre est de longuement rappeler pour en tirer argumentation un épisode historique récent, mais mal connu. En existe-t-il une étude approfondie ? Entre 1974 et 1980, les Grandes Loges Unies d’Allemagne avaient jugé bon sans doute dans un but de clarification et d’ouverture de soumettre à l’Eglise catholique allemande les rituels des trois premiers degrés. Le 12 mai 1980, l’épiscopat allemand rendit son verdict : incompatibilité d’appartenance. On notera que l’épiscopat allemand appuie cette condamnation avant tout (outre les rituels proprement dits) sur des textes maçonniques exclusivement allemands et autrichiens et que lorsqu’un texte fondateur est relevé, les Constitutions de 1723 en l’occurrence, cela donne une traduction plutôt inédite du texte original : « Le maçon a en tant que maçon l’obligation d’observer la morale ; et s’il comprend bien l’Art, il ne sera ni un négateur étroit de Dieu, ni un libre esprit sans frein. »
(Voir à propos de cet épisode les détails curieux donnés par Alain Bernheim lors d’une interview sur le site de la revue Masonica de la GLA : « http://www.freemasons.freemasonry.com/realite_maçonnique.html »).
Discussion :
Avant-guerre, Albert Lantoine avait ouvert un dialogue avec le père Bertheloot (1). Cette tentative fut reprise par le Père Riquet qui tenta d’évangéliser la Grande Loge Nationale Française, à l’exclusion des autres obédiences. Aujourd’hui un homme comme le Père Joseph-Marie Verlinde exprime un certain anti-maçonnisme. Pour lui, la franc-maçonnerie est une sorte de gnose qui conduit au relativisme absolu.
(1) : Le révérend père BERTELOOT, dans son ouvrage «Jésuite et Franc-Maçon. Souvenirs d’une amitié». (Paris, Éditions Dervy; 1952.) relatera son amitié avec Albert Lantoine.
Bibliographie :
Intégrisme et catholicisme intégral, Emile Poulat, Paris, Casterman, 1969.
Ars Quator Coronatorum, vol. 119, « The Catholic Church and Freemasonry, an historical perspective » par José A. Ferrer-Benimelli, p. 234.
Nous restons quelque peu dans le même sujet avec cette autre contribution à Politica Hermetica : « Une société secrète catholique du nouveau monde : les Chevaliers de Colomb », par Pierre Mollier.
Que l’Eglise catholique entretienne avec le secret et les sociétés secrètes des rapports ambigus, voilà qui nous est prouvé par cette étude. Les Chevaliers de Colomb ont été créés en 1882 à New Haven dans le Connecticut par le père Michaël Mac Givney, prêtre irlandais issu d’un milieu modeste. À l’époque, rappelle P. Mollier, la FM et les très actives sociétés paramaçonniques jouaient un rôle important et positif dans l’intégration des masses immigrées aux E.U. L’immigration catholique, irlandaise notamment, devait se faire une place sous ce soleil-là en dépit des réticences considérables de l’Eglise ! Le père Mac Givney, avec l’aide précieuse de l’évêque du Connecticut, Mgr. Mac Mahon, emporta le morceau en invoquant le nécessaire souci de protection sociale et en faisant « jouer la concurrence » avec d’autres sociétés secrètes, « hors contrôle ». Pour se conformer au modèle démocratique américain et ne pas donner la déplaisante impression d’une conspiration jésuitique, le père Mac Givney institua pour son Ordre un gouvernement représentatif, ce qui n’était pas du goût, dans l’autre sens, de son Eglise. Pour lui, les C. de C. n’étaient pas une société secrète, mais « une organisation rassemblant des Catholiques mais non directement catholique ». Toutefois le modèle non avoué mais obligé étant la Franc-maçonnerie, il y eut des rituels de réception et de passage de grades, pas « secrets », certes ; ils utilisaient cependant un corpus symbolique et se faisaient… à huis clos ! Le père Mac Givney est actuellement en voie de canonisation et aujourd’hui l’ordre rassemble 1,7 millions membres répartis en 12000 « conseils » aux E.U., Canada, Philippines, Mexique et ailleurs sauf en Europe jusque tout récemment, en 2005, où 250 Polonais ont reçu l’initiation, la Pologne ayant été érigé en « territoire ». La structure des conseils est quasiment calquée sur celle d’une loge. Les rituels n’ont jamais été mis sur la place publique. La devise est : « Charité, Unité, Fraternité. » Il n’y a pas de serment, mais une « promesse ». En 1900 un haut grade a été institué, le « Sir Knight » dont les modalités chevaleresques font fortement penser au « Chevalier du Temple » de la F.M. En 1967, le SGC du SC du REAA a rencontré les C.de C. pour un combat commun contre « les forces qui menacent notre mode de vie ». Kennedy était au 4è degré de l’Ordre.
Au début du XXe siècle, les C. de C. se sont engagés dans un combat directement politique contre le mouvement républicain, progressiste et laïque mexicain. Avant la seconde guerre mondiale, ils font reconnaître le « jour de Christophe Colomb » comme fête nationale. En 1954, ils sont parmi les groupes de pression qui obtiennent l’ajout de « devant Dieu » au serment civique et au salut au drapeau. Le 13è Chevalier Suprême, Carl A. Anderson, un avocat, a été conseiller de Reagan, et il vient d’être nommé au Conseil pontifical pour les questions sociales par l’actuel Pape. Il est le seul laïc d’Amérique du Nord à avoir agi comme auditeur lors des deux derniers synodes des évêques, en 2001 et 2005.
Il n’y a qu’un pas du secret à la légende, elle-même auréolée du mystère de ses origines. C’est le sens de la troisième contribution qui nous intéresse directement dans Politica Hermetica : « Les compagnonnages et la « Franc-maçonnerie du bois » au XIXe siècle : plus opératif que moi… » C’est un travail de Jean-Michel Mathonière.
Au XIXe siècle, les Compagnons du Tour de France, comme presque tous leurs contemporains ont été sensibles aux « tentations du secret ». Moins d’ailleurs qu’on le croit sur le plan politique, la paranoïa policière et l’imaginaire romantique étant avant tout responsables des légendes carbonaristes. Mais l’ingrédient ésotérique était bien présent. Où aller le chercher ? Dans la franc-maçonnerie. Comment et pourquoi ?
Comment : les compagnons, dès le XVIIIe siècle savaient dans l’ensemble lire et écrire et les premières divulgations maçonniques leur offraient un corpus de choix. En outre, contrairement à certaines idées reçues, pas mal de Compagnons devenus entrepreneurs ou architectes avaient été reçus en loge, le mouvement s’amplifiant sous l’Empire, sans compter le rôle des loges militaires.
Pourquoi : il n’y a pas de « Tradition » compagnonnique bien définie. S’il y a des compagnonnages de « tradition ancienne » quoique relative comme les tailleurs de pierre, beaucoup de compagnonnages ont été « fondés par eux mêmes », (expression directement compagnonnique), et ont forgé leurs propres rites et légendes pour être reconnus par des sociétés « plus anciennes ». Le corpus des divulgations étant là, l’admiration et la jalousie firent le reste, agrémenté du fait que dans la légende salomonienne, justement, l’opératif précède le spéculatif. Toutefois, il y eut des emprunts ailleurs et notamment dans ce qu’on appelle la « franc-maçonnerie du bois », la Fenderie d’une part et la Charbonnerie d’autre part. Ainsi, dans le fond Ragon de la GLUA, on trouve des documents sur « L’Ordre des compagnons fendeurs charpentiers du Mont Liban ». Or celui-ci n’existe pas comme métier. Il s’agit en fait de l’ébauche d’un rituel pour les Compagnons Charpentiers du (Devoir) de Liberté circa-1835-1836. Cette société était censée être née en 1804, voire bien avant. Elle a brillé à la fin du XIXe siècle, avant de se fondre en 1951 dans d’autres organisations compagnonniques. Or, il n’y a pas trace de ces fameux rituels dans les documents relatifs à cette organisation. L’auteur risque l’hypothèse qu’il s’agissait probablement de dissidents qui voulaient créer une organisation bien à eux en se démarquant des « recopiages » maçonniques. Mais cela était-il trop lourd à mettre en œuvre ? Pas assez ésotérique ? Toujours est-il que ce corpus original a déçu l’attente, et l’on est revenu aux « recopiages ». Toutefois, cela traduit dans l’esprit de ces hommes l’existence d’une notion d’ « opérativité », assez étrangère en fait aux mentalités compagnonniques. « À peine né, écrit l’auteur, le « plus opératif que moi » avait cessé d’exister dans l’univers compagnonnique. » L’opératif « véritable » résiderait donc plutôt pour les Compagnons dans l’évidence immédiate de la résistance et des exigences du matériau.
Cela nous amène enfin à un dernier ouvrage : Les grandes énigmes de la franc-maçonnerie par Philipe Benhamou aux éditions First. 19,90 euros.
Puisque nous sommes dans le secret et les légendes, nous savons combien, comme nous l’avons vu plus haut, les médias de masse se nourrissent sans responsabilité de ces notions délicates et toujours dangereuses à manier surtout quand on le fait au tractopelle ! C’est pourquoi il faut saluer ce livre expressément destiné au grand public. En effet, sous un titre un peu « racoleur » selon l’aveu même de l’auteur, se cache un remarquable antidote aux « danbrowneries » et autres divers « livres jaunes ». En dix chapitres, Philippe Benhamou qui est déjà l’auteur de « La franc-maçonnerie pour les nuls » chez le même éditeur, passe en revue non point tant les énigmes de la franc-maçonnerie que les sempiternels « on dit que » sur l’institution, qui font au mieux soupirer ou rire et au pire rendent « philogrobolisé du cerveau » comme disait Rabelais. Cela va de la légende templière à « Paris, capitale maçonnique », en passant par Rosslyn Chapel, l’affaire Taxil, « Les Etats-Unis, une conspiration maçonnique », le fameux « A moi les enfants de la veuve ! » et l’entraide occulte, ou comment les loges font dans l’ombre les lois qui nous gouvernent ! À chaque fois, dans un langage clair l’auteur tente de démêler les écheveaux et ramène les problématiques à cette dimension raisonnable qui souvent comme on le sait est bien plus intéressante et subtile que les fumées conspirationnistes ou immémorialisantes qui la masquent. La documentation est prudente, quoiqu’un peu trop générale et courte pour un lecteur érudit. Il y a quelques approximations. Ainsi, est-il bien sûr que la « première loge française s’installe à Dunkerque en 1721 » comme il est dit page 71 ? Il s’agit de défauts assez pardonnables dans un ouvrage de ce genre. En revanche, pages 202 et 203, on trouve à propos des lois Neuwirth et Veil, une analyse assez fine des rapports entre le maçon engagé à titre personnel dans certaines causes (en l’occurrence le Dr. Pierre Simon) sa loge et les passages non obligatoirement maçonniques d’une idée à un projet et au vote d’une loi. Ce livre apparaît comme une opération de salubrité maçonnique comme le disait voici peu de temps Jiri Pragman sur le site « Hiram-blog ».
Discussion :
Le livre de Philippe Benhamou prend place dans une collection intitulée « Les Grandes Enigmes ». L’auteur a voulu écrire un livre sérieux, un livre d’histoire, en cherchant à démontrer que les idées farfelues sur la Maçonnerie ont elles-mêmes une histoire et qu’elles donnent finalement une image plutôt négative de l’ordre.
Si, depuis trois siècles, comme le dit l’auteur, « tout ou à peu près tout a été dit, raconté et écrit sur la franc-maçonnerie » (p. 11) et qu’on met en regard ce qu’écrivait René Guilly en 1957 : « j’ai lu tous les ouvrages maçonniques que l’on peut aujourd’hui trouver en librairie (…) et je n’en ai retiré aucun fruit » (In RT, n° 147-148, juillet-octobre 2006, p. 282.), on peut en déduire que « les grandes énigmes de la Franc-maçonnerie » sont surtout les grandes ignorances sur la franc-maçonnerie et aussi peut-être des francs-maçons eux-mêmes qu’ils soient auteurs ou lecteurs, quand ils le sont encore. Ainsi à propos du chapitre consacré à « Paris, ville maçonnique » et lorsqu’on connaît un peu les élucubrations navrantes que l’on a publiées sur le sujet, de la pyramide du Louvre à l’arche de la Défense, on ne peut que conseiller de lire l’article d’Henri Cachin « A propos des premières loges de Paris » (In RT, n° 113, janvier 1998) et sa critique du livre Le Guide du Paris maçonnique (In RT, n° 115-116, juillet-octobre 1998, p. 317) ainsi que la visite organisée par Gérard Gefen des lieux maçonniques parisiens consultables sur le site de la Loge d’études et de recherches William Preston.