L'esprit de la Franc-Maçonnerie de William HUTCHINSON

traduit et annoté par Georges Lamoine, publié aux éditions Ivoire-Clair. 2008

par Marc Mirabel

Publié pour la première fois à Carlisle en 1775, ce livre a donc mis bien plus de deux siècles pour être enfin traduit en français !

Avec l'ouvrage de William PRESTON " Illustrations of Masonry " qui date de 1772, le livre de William HUTCHINSON constitue un des principaux textes relatifs à la Franc-Maçonnerie anglaise à la fin du 18ème siècle.

Sans doute HUTCHINSON s'inspira t il du livre de PRESTON pour composer le sien sous forme de conférences morales et explicatives qui forment autant de chapitres, à savoir :

  • Le but
  • Des Rites, des Cérémonies et des Institutions des Anciens
  • De la Nature de la Loge
  • Le mobilier de la Loge
  • Les vêtements et les bijoux des Maçons
  • Le Temple de Jérusalem
  • De la Géométrie
  • De l'ordre de Maître Maçon
  • Le secret des Maçons
  • De la Charité
  • De l'amour fraternel
  • Des activités des Maçons

Quel est donc le but de ce livre ?

Que nous dit HUTCHINSON dans les premières lignes de son ouvrage ?

Il nous dit ceci :

"A mon initiation, j'ai été frappé par le cérémonial, et j'ai compris aussitôt qu'il transmettait plus que ce qui paraissait aux yeux du vulgaire; en m'intéressant au sujet, je me suis convaincu de la justesse de mes premières impressions; et par mes recherches pour découvrir ce que le cérémonial impliquait, j'espère avoir acquis quelque degré de connaissance quant à l'origine de la Maçonnerie, aux raisons de ses diverses institutions, au sens de ses divers symboles et à leur importance, ainsi qu'aux progrès de cette profession."

Comme Georges LAMOINE l 'écrit dans sa préface, "HUTCHINSON veut démontrer que le franc-maçonnerie dite 'spéculative' :

  • n'a aucun lien historique avec les métiers de la construction ou l'architecture, sauf à l'époque de la construction du Temple de Jérusalem;
  • remonte à la plus haute antiquité, donc à une époque antérieure à Salomon lui-même;
  • est une société à buts moraux, charitables et religieux, composée de chrétiens."

Ecrit dans un style un peu lourd, usant de redites à satiété, le livre d'HUTCHINSON n'en témoigne pas moins d'une grande érudition et surtout, et c'est selon nous le plus important, de la très haute idée que l'auteur se faisait de la Franc-Maçonnerie.....

Certes, ses conceptions historiques seraient difficilement défendables de nos jours et il n'a que faire de la chronologie.

Cependant, l'intention de l'auteur est d'abord d'ordre moral, il insiste sans cesse sur la nécessité de la rectitude morale...

Et l'on peut ajouter qu'il utilise l'histoire mythique du Métier dans un sens moral.

Le grade d'Apprenti correspond à la religion naturelle, le grade de Compagnon à la construction du Temple de Jérusalem et celui de Maître à la Révélation...

On voit où veut en venir HUTCHINSON et l'on se rend compte que ce genre de texte sera plus difficile à écrire après l'Union de 1813.

En cela, il porte la marque de la maçonnerie anglaise du 18ème siècle.

Citons encore: " La maçonnerie moderne pose en principe, pour expliquer que nos loges sont dédiées à St Jean, que les maçons qui s'engagèrent à conquérir la terre sainte choisirent ce saint pour patron.( )

Nous nous dédions à St Jean qui proclama que le salut était proche avec la venue du Christ; et nous, ensemble de croyants réunis par la vraie foi, commémorons la proclamation du Baptiste.

Au nom de St Jean l'Evangéliste nous reconnaissons les preuves qu'il donne, et le LOGOS divin qu'il manifeste."

Il est curieux de voir qu'HUTCHINSON associe les maçons et les croisades, comme il associera la maçonnerie avec l'ancienne science des Druides, idées assez en vogue à l'époque.

En définitive, il est indispensable de lire ce livre pour se faire une idée de ce qui était professé par les maçons anglais des années 1780 (n'oublions pas que ce livre fut publié avec l'accord de la Grande Loge des Modernes, ce qui reste exceptionnel).

Une école de morale et de religion, pratique de la charité active envers les malheureux, esprit de bienfaisance en tant que norme fondamentale des relations sociales comme l'écrit si bien Georges Lamoine dans sa conclusion....oui, comment pourrait on oublier notre frère William HUTCHINSON ?

Discussion:

Georges Lamoine est, avec Allec Mellor et Alain Bernheim, un des rares auteurs français a avoir reçu le « Norman Spencer Award ».

Sur William Hutchinson, on pourra lire en français de Francis Delon un article dans l’Encyclopédie de la Franc-Maçonnerie, sous la direction d’Eric Saunier, « Le Livre de Poche », 2000 qui : « William Hutchinson (1732-1814): a hitherto unknown 18th century English radical Masonic dramatist par Trevor Stewart » in « Franc-maçonnerie et politique au siècle des Lumières : Europe-Amériques », Lumières, n°7. Presses Universitaires de Bordeaux, 2006, 279p. En résumé, William Hutchinson (1732-1814) est un contemporain de William Preston (1743-1818) qui le cite d’ailleurs dans ses Illustrations of Masonry. Fils d’un avocat, William Hutchinson reçut une bonne éducation et acquît un goût pour l’histoire. Il fit des études juridiques et deviendra intendant de domaines. Admis dans l’establishment, il est fait Franc-Maçon en 1770, à 38 ans, dans la Grande Loge dite des Modernes. C’est un intellectuel qui devient Maître de sa Loge dès l’année suivante, c’est dire son implication et ses qualités. En 1775 pourtant il n’obtient pas la Grande Maîtrise provinciale de Durham qu’il briguait. L’année d’avant, il avait composé un recueil de conférences prononcées en loge qu’il avait adressé au grand Secrétaire de la Grande Loge des Modernes, James Heseltine. Estimant que le message maçonnique était devenu confus, il insiste sur la dimension chrétienne du Métier. Son travail retient l’attention de Preston. Hutchinson participera aux chapitres Harodim de Preston. Cette volonté de redonner au Métier toute sa splendeur était d’ailleurs dans l’air du temps. Beaucoup se plaignaient de l’ignorance des frères et de la déchristianisation des rituels (déjà). Le recueil d’Hutchinson sera publié en 1775 à la demande du Grand Maître Lord Petre et, bien accueilli, il sera réédité plusieurs fois.

En dehors de ses activités maçonniques, William Hutchinson fut aussi un membre de la Society of Antiquaries en 1781, c’est-à-dire un historien féru d’histoire locale et un écrivain qui a produit deux tragédies.

Si l’œuvre d’Hutchinson est présentée comme un contrepoids à la déchristianisation des rituels, cela nous rappelle que cette déchristianisation n’a pas commencé, pour la Maçonnerie anglaise, après l’Union de 1813. D’une manière générale, le XVIIIè siècle inaugure une déchristianisation de l’Europe occidentale et, d’une certaine manière, la franc-maçonnerie peut apparaître pour certains comme le lieu où il est encore possible de réfléchir sur le christianisme. S’observe, en effet, un mouvement de christianisation des rituels au cours du XVIIIè siècle sans même parler du RER. Comme pour l’œuvre de William Preston, il est difficile d’évaluer l’influence de celle d’Hutchinson sur l’évolution de la Maçonnerie anglaise au XIXe siècle. Cette influence réside surtout, non dans ce christianisme affirmé et qui n’aura plus court au XIXè siècle mais dans la très haute idée qu’ils se faisaient de la Franc-Maçonnerie. Pour eux la Maçonnerie est quelque chose d’important et digne d’attention, bref « quelque chose de plus sérieux que vous ne croyez » comme on disait au XVIIIe siècle. Au XIXè siècle, le Dr. Oliver jouera un peu le même rôle que Preston et Hutchinson.

Par ailleurs, peut-être est-il possible d’établir un parallèle entre, d’une part, les œuvres de William Preston et William Hutchinson et, d’autre part, le travail de fixation du Rite français en ce sens qu’il pourrait y avoir de même références à un même imaginaire en Angleterre et en France, voire en Allemagne. Les travaux de Pierre-Yves Beaurepaire explorent l’histoire de la Franc-maçonnerie européenne xviiie-xxe siècles, l’espace européen des Lumières, la culture de la mobilité au XVIIIe siècle et les réseaux de correspondance. Celui-ci a publié Sociabilité, Franc-maçonnerie et réseaux relationnels. Contributions pour une histoire sociale et culturelle de l’espace européen des Lumières. Il y a un bouillonnement intellectuel maçonnique à cette époque qu’il s’agit d’étudier en cherchant les influences, la diffusion des idées, etc. En ce qui concerne la fixation du Rite Français, il faudrait peut-être aussi explorer l’idée d’une possible influence du jansénisme tardif. (Cf. compte-rendu in La Lettre de l’Iderm, n° 2009-1)