Tous les rituels de la Grande Loge d'Ecosse

Traduits et publiés avec l’aimable autorisation de la Grande Loge d’Ecosse des Anciens Maçons Francs et Acceptés. Préface, traduction et notes de Jean Solis. Éditions de la Hutte. Collection Franc-maçonnerie. 26 euros.

par Pierre Lachkareff

Ce fort volume de 430 pages quoique de petit format, veut s’entourer dès l’abord des meilleures garanties. L’auteur n’exprime-t-il pas sa gratitude à Robert L. D. Cooper, Steve Darns, Georges Lamoine, J. Hendy McCartney, Maurice E. Wilson ainsi qu’à Philippe Langlet et Pierre Noël, ces derniers « pour leurs recherches et pertinentes réflexions sur la « vraie » franc-maçonnerie écossaise. » ? Et cette « première édition historique » n’est-elle pas spécialement dédiée à deux éminents représentants de la Grande Loge d’Ecosse ?

Dans sa préface, l’auteur entend dissiper -à l’usage du lecteur français- un certain nombre de « malentendus ». Il commence de façon classique à distinguer l’écossisme, notamment du REAA, de la maçonnerie « en Ecosse ». Il enchaîne avec les spécificités de la GLDE, notamment son attachement, sinon rattachement à la maçonnerie « opérative » d’Ecosse, avec la notion très prégnante de « daughter-lodge », ce qui explique l’aspect parfois vernaculaire et subtilement différencié du rite dans les 1150 loges que regroupe la GLDE. Cependant, il s’agit là de présenter les deux rituels « plus petits dénominateurs communs » de ces loges, le « Standard » de 1901 et le « Modern » de 1960, peu différent sur le fond mais plus détaillé et « commenté », ainsi que le rituel proprement dit de grande loge « ne varietur » qui met par écrit des pratiques remontant à environ un siècle et demi. Il rappelle une autre spécificité de la GLDE, moins élitiste, plus « familiale » et populaire que la GLUDA. Un chapitre est ensuite consacré à la délicate question des fameux « trois grades et rien que trois dont un quatrième » si délicieusement « british ». L’auteur montre comment, par un tour de passe-passe bien agencé, la GLDE fit considérer la Marque comme un « complément insécable du grade de compagnon » et non un quatrième degré, alors que constitutionnellement, elle devait être réservée au Grand Chapitre en 1817. En pratique, c’est bien un quatrième degré.

Après quelques intéressantes considérations sur le Passé Maître Installé, vient la délicate question de la traduction. Pour Jean Solis, un rituel n’est pas une œuvre littéraire. Aussi, pour éviter les « fantaisies charmantes » dont se sont, selon lui, rendues coupables certaines obédiences, françaises notamment, il a privilégié la restitution littérale. Il reconnaît honnêtement que cela lui a posé des problèmes considérables, en syntaxe, ponctuation, casse, même, compte non tenu des expressions jargonnantes ou dialectales quasi impossibles à rendre, et il ne prétend pas, loin de là, avoir réalisé une traduction parfaite. Cela dit, nous ne sommes certes pas le juge adéquat, et nous aimerions avoir l’avis de frères plus au fait de cette matière. Toutefois on peut relever que « tracing board » ne se traduit pas par « planche à tracer », mais par « tableau de loge ».

Cette publication est vraiment intéressante, tant il est rare en effet d’avoir sous les yeux en français l’expression écrite de cette si fantasmée maçonnerie d’outre-Manche. Cependant une question se pose. Pour des raisons tout à fait compréhensibles de « secret » au bon sens maçonnique du terme, beaucoup de mots sont dans l’original en « cypher » c’est-à-dire en « points de conduite » dans la traduction. Seuls des maçons français bien érudits en perceront le sens en les comparant aux mots français équivalents. Certains de l’aveu même de l’auteur seront « indécelables pour qui ne fait pas partie d’une loge en Ecosse ». L’aspect quelque peu « grimoire » ainsi obtenu, même si dans l’ensemble un certain « esprit » se dégage bien, ne risque-t-il pas de générer une fois de plus faux-sens, contresens ou interprétations « charmantes » ? Ce type de publication ne manque-t-il pas en fait pour porter ses fruits au-delà d’une révélation purement formelle, d’une véritable mise en perspective historique et culturelle plus large et fouillée qu’une préface aussi honnête soit-elle ?

Discussion :

Au vrai, que nous apprend le livre de Jean Solis ? Rien.

Rien quant aux rituels qu’il est facile de se procurer puisqu’ils sont publiés. De plus, les rituels bleus écossais ne sont guère différents, hormis quelques variantes de pratiques, des rituels bleus anglais tant l’influence de l’Angleterre a été prépondérante sur la Maçonnerie Ecossaise. En témoigne l’introduction au sein de la Grande Loge d’Ecosse d’une cérémonie ésotérique d’installation d’un maître de Loge imposée en 1872 par la GLUA.

Rien non plus quant à la traduction. Cette traduction de ces textes rituels est déficiente. La traduction est un art difficile certes. Il y a 2 manières de procéder en matière de traduction. On peut procéder à une traduction littérale, juxtalinéaire, en donnant le texte original et le texte traduit mot à mot avec un appareil critique qui permette de comprendre le tout et de travailler. Cette méthode se justifie pour la traduction des textes sacrés par exemple. Ou bien, on procède à une traduction qui privilégie le sens du texte. Jean Solis a choisi une traduction littérale mais sans aucun appareil critique ce qui, sans même parler des erreurs pures et simples, rend le texte quasi incompréhensible et surtout inutilisable pour une étude. Les problèmes de traduction des rituels de langue anglaise ne datent d’aujourd’hui. L’essentiel est de préserver le sens du texte en le rendant dans un français correct, compréhensible, c’est-à-dire donnant du sens, et si possible proche de la langue du XIXè siècle, date de rédaction de ces rituels, car ces textes, comme tous les textes, ont été informés par l’esprit du temps de leur composition.

Au-delà de ces problèmes techniques de traduction, il est évident que ce qui tout touche à l’« Ecosse » n’est pas neutre en Maçonnerie. Pour beaucoup, ce qui est « Ecossais » est le plus ancien et le plus vénérable. Lorsqu’on veut présenter un système comme étant le plus vrai et le plus ancien, on le dit « Ecossais ». Or, n’oublions pas que les grades dits « Ecossais » du XVIIIè siècle, sont des grades Français.

La question « écossaise » est aussi sensible en Angleterre. Songeons, par exemple, que David Stevenson, écossais si l’en est, a attendu presqu’une dizaine d’années pour être invité par les chercheurs anglais de la Quatuor Coronati Logde.

En réalité, il y a beaucoup de fantasmes concernant les origines écossaises de la Maçonnerie. Pourtant, les faits sont têtus. La Grande Loge d’Ecosse, par exemple, a été fondée en 1736 soit près de 20 ans après la Grande Loge de Londres et à l’image de cette dernière et non le contraire comme le montrent les travaux les plus récents sous la direction de Robert Cooper. Ce même Bob Cooper a publié récemment The Rosslyn Hoak dans lequel il démontre que la légende templière n’a été intégrée dans l’imaginaire de l’Ecosse qu’au début du XIXè siècle à une époque où Walter Scott met à l’honneur le Moyen Age dans ses romans historiques. Et déjà, en 1992, Eric Hobsbawn dans The Invention of Tradition (L'Invention de la tradition, Paris, 2006) avait montré comment les britanniques se sont constitué un patrimoine imaginaire et comment s’est constitué le légendaire écossais notamment relativement aux clans, aux tartans, etc. Même un ordre comme l’Ordre royal d’Ecosse doit son existence à son épanouissement en France au cours du XVIIIè siècle.

Qu’on le veuille ou non la tradition a une histoire, la maçonnerie écossaise aussi et, lorsqu’on les méconnaît, on s’égare bien vite.