Voici un livre paradoxal :
L’invention de la franc-maçonnerie donc. On connaît les deux sens mot invention :
Et c’est peut-être en cela que la franc-maçonnerie est elle-même un ordre paradoxal : une construction – on me pardonnera cette métaphore facile – d’une institution inconnue auparavant (La Grande Loge) et, en même temps, la découverte des trésors qu’elle renferme (son monde légendaire).
Car la franc-maçonnerie est un univers de légendes :
Une grande partie du livre de Roger Dachez est d’abord consacrée à démonter, à déconstruire, ces « légendes urbaines » qui ont considérablement pollué la question des origines de la franc-maçonnerie. Citons en quelques-unes :
Roger Dachez nous explique comment ces légendes se sont constituées. Et il cite le magistral travail de Bob Cooper dans son livre The Rosslyn Oak qui est une démonstration parfaite et implacable de déconstruction des légendes autour de la chapelle de Rosslyn en Ecosse, terre de légendes s’il en est.
Ce travail de déconstruction n’est pas – comme certains pourraient le déplorer à tord – un travail de destruction. Au contraire, le pire est de prendre ces légendes à la lettre, comme un récit vrai. Elles sont alors – si l’on y réfléchit un tant soit peu - d’une fadeur sans nom comme dans ses romans « ésotériques » où le secret final – lorsqu’il y en a un - est d’une banalité à pleurer. Or ces légendes urbaines, si elles sont prises pour ce qu’elles sont, donnent à penser sur l’Ordre. Un Jean-Baptiste Willermoz en se refusant à couper définitivement tout lien entre la franc-maçonnerie et les Templiers - bien qu’il savait pertinemment à quoi s’en tenir sur cette question – exprimait à sa manière le fait que pour légendaire qu’il soit, le rapport à l’ordre du Temple exprimait tout de même un rapport de la Maçonnerie « aux connaissances scientifiques » comme on disait alors, c’est-à-dire doctrinales. Bref, en mettant à bas les légendes on faire ressortir la beauté pérenne du mythe.
Ayant ainsi déblayé le terrain, Roger Dachez nous présente d’une manière aussi claire et limpide que possible, les diverses théories sur les origines de la franc-maçonnerie, résumant impeccablement des dizaines d’années de recherches principalement britanniques. Trois auteurs sont incontournables (mais on pourrait naturellement en citer d’autres) : Harry Carr qui a finalisé la théorie de la transition d’une maçonnerie opérative à une maçonnerie spéculative, Eric Ward qui a critiqué cet « Evangile » de Harry Carr, et David Stevenson, chercheur écossais qui a souligné le rôle très important de ce pays dans la naissance de la franc-maçonnerie moderne.
Enfin, Roger Dachez nous propose une ébauche d’une théorie synthétique des origines de la franc-maçonnerie. Ce dernier chapitre illustre tout le livre. Après 300 pages de critiques serrées, minutieuses et documentées selon les méthodes de l’histoire scientifique voilà que, au moment où l’on s’y attend le moins, nous retrouvons un véritable monde hypothétique avec ce que l’auteur appelle malicieusement « le roman des origines » et que nous pourrions appeler d’une manière moins poétique : une théorie de ruptures transitionnelles. Nous croyions avoir quitté le terrain du roman et bien nous y retournons mais cette fois pour la bonne cause car la franc-maçonnerie est bel et bien un roman, un roman qui a fait vivre des millions d’hommes depuis près de 3 siècles et qui ne semble pas sur le point de s’éteindre tant les champs de recherches qui s’ouvrent à nous semblent illimités.