Cet ouvrage a fait l’objet, dans The Times Literay Supplement du 23 janvier 2009 (pp. 3-5), d’une analyse de Ritchie ROBERTSON, tutorial Fellow en Allemand à St John’s College à Oxford, auteur de Kafka : A very short introduction (2004), The Jewish Question in German Literature, 1749-1939 (1999) et co-éditeur de A History of Austrian Literature, 1918-2000 (2006).

Rappelons, en préambule, que le Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie de Daniel LIGOU (PUF, 4^ème édition, 1998, pp. 717-718) mentionne, sous la plume de Charles WACHSMANN, qu’Il est même singulier que c’est en somme un Maçon en marge (LESSING avait seulement été initié en 1771 à Hambourg dans la Loge Zu den drei Rosen où il ne fut plus assidu à partir de 1779) qui ait, peut-être, le plus influencé la Franc-Maçonnerie allemande.

Le 20 février 1781, une petite vingtaine de personnes, qui le considéraient comme un grand hommes de lettres allemand, accompagnèrent Gotthold-Ephraïm LESSING jusqu’à sa dernière demeure au cimetière de Brunswick en raison de sa réputation, totalement injustifiée, d’athée et de blasphémateur.

En cinquante deux années d’une vie souvent agitée, mais exceptionnellement créative, LESSING écrivit douze pièces, des fables, des épigrammes, des contes en vers, des essais critiques, de nombreux traités sur la littérature et l’art classique. Il fit également des incursions dans la théologie et la critique biblique qui marquèrent un tournant dans la pensée protestante.

Hugh Barr NISBET, son biographe le plus récent, a choisi d’entrecouper le récit de sa vie, où il met en scène ses rencontres, avec des analyses pointilleuses de ses œuvres. Son ouvrage est la plus achevée des biographies de LESSING car elle repose sur quatre décennies de recherches passionnées et sur une connaissance approfondie de la philosophie et de la littérature des Lumières. Elle nous permet ainsi de mieux appréhender cet écrivain qui fut, comme le démontre NISBET, le principal auteur de l’Enlightenment allemand mais aussi une personnalité de stature européenne.

Le premier trait dominant du caractère de LESSING est simplement son attachement viscéral à la morale. Il était remarquablement détaché des préjugés de son époque et s’opposait à eux résolument. L’exemple le plus connu se trouve dans une des scènes de sa dernière pièce, Nathan le Sage (1779), où le templier, à l’origine antisémite, est amené à reconnaître les vertus du sage juif Nathan et à répondre à son appel en faveur d’une humanité qui transcenderait la religion et l’Etat nation.

Déjà, dans ses premiers écrits, LESSING s’était fait l’avocat de l’égalité des droits en faveur des Juifs et avait démontré que l’antisémitisme était une théorie aussi absurde qu’erronée. Parmi ses plus proches amis, figurait le philosophe juif Moses MENDELSSOHN. Sa première comédie, Les Juifs (1749) mettait en scène un Juif, qu’il était impossible de distinguer d’un Gentil, sauvant un Baron de deux bandits de grand chemin qui se révélèrent être les domestiques chrétiens du seigneur déguisés en juifs.

Dans Le Misogyne (1748), il attaqua également les préjugés à l’égard des femmes. Notons, à ce titre, les rapports d’égalité qu’il entretint avec Eva KOËNIG, la veuve d’un marchand de soie de Hambourg, depuis leur rencontre en 1771 et qu’il épousa en 1776.

Dans Le Libre Penseur (1749), il montra que, contrairement à l’opinion générale, celui-ci peut être aussi vertueux que l’homme de foi.

La révolte de LESSING contre l’autorité fit de lui le porte flambeau des Lumières. Ses écrits s’attachent, en effet, à développer, chez ses lecteurs, une pensée indépendante contre les fausses prétentions des idées établies. Ainsi, dans son dernier traité, L’Education de la Race humaine (1780), il rejette, tout en réaffirmant sa croyance en Dieu et en la Providence, l’idée que la vérité ait pu être révélée à l’humanité une fois pour toutes par le Christ. Il propose alors une doctrine de révélation progressive. La Loi dévoilée à Moïse sur le Mont Sinaï était un code moral oral adapté alors à l’intelligence de ses disciples. A un niveau plus avancé, les hommes ont reçu un meilleur maître en la personne du Christ. Mais, pourquoi la Révélation s’arrêterait-elle là ? Dans les derniers chapitres de son traité, LESSING évoque, non sans sympathie, ces « marginaux » du Moyen-Âge qui prophétisaient un Troisième Âge de l’Esprit Saint et caresse aussi la notion de réincarnation. L’idée que l’humanité puisse atteindre la perfection par des réincarnations successives avait été exposée par le philosophe suisse Charles BONNET, dans sa Paligénésie philosophique (1770) et exerçait une forte influence dans l’Allemagne de la fin du XVIII^ème siècle.

Dans ses controverses théologiques, LESSING combattit sur deux fronts. S’il témoigna d’une certaine sympathie pour le Luthéranisme orthodoxe en raison de sa loyauté pour son père, qui était parvenu à occuper la position éminente de premier pasteur de la ville saxonne de Kamenz, il n’éprouva aucune indulgence envers l’aile moderniste de son Eglise, connue sous le terme de Néologie, qui prétendait faire respecter le Christianisme révélé mais le vidait, pour incompatibilité avec la raison, de la majorité de son contenu (pêché originel, prédestination, rédemption et châtiment éternel).

Si les Néologistes ne répondirent pas aux objections de LESSING, celui-ci s’attira, en revanche, les foudres du redoutable pasteur conservateur de Hambourg, J.M. GOEZE qui le menaça de damnation lors du Jugement dernier ! LESSING répliqua par de brillants essais de critique biblique qui s’appuyaient sur les travaux manuscrits inédits de H.S. REIMARUS. Ce professeur de langues orientales d’une grande piété, mort en 1769, s’était attaché à démontrer les aberrations historiques et théologiques des Ecritures. Toutefois, son protecteur, le Duc de BRUNSWICK, dont il était le conservateur de sa bibliothèque de Wolfenbüttel (devenue aujourd’hui, en partie grâce à lui, une des principales bibliothèques de recherche d’Allemagne) l’obligea à mettre un terme à cette controverse.

En tant que partisan inconditionnel des Lumières, LESSING, enfin, n’était pas simplement un Allemand mais un personnalité cosmopolite, familière des principales langues et littératures d’Europe Occidentale mais aussi du reste du monde, particulièrement l’Islam.

Ses innombrables centres d’intérêt nous invitent à le comparer à Pierre BAYLE, dont il dévorait le Dictionnaire, et à DIDEROT dont il traduisit deux pièces, Le Fils naturel et Le Père de famille.

La liberté de LESSING à l’encontre du nationalisme le plaça également dans une situation embarrassante à Berlin où il passa une partie de la Guerre de Sept Ans, occupant même le poste de secrétaire du Général VON TAUENTZIEN, commandant de la forteresse prussienne de Breslau. Ce conflit fut à l’origine d’un patriotisme irraisonné, symbolisé par l’essai de Thomas ABBT, De la Mort pour la Terre Natale (1761), qui annonce le nationalisme exacerbé de KLEIST et de FICHTE dans les années 1800. LESSING répondit par une courte pièce, Philotas (1759), dont le héros incarne la satyre de cette idéologie guerrière. Ainsi, lorsque son roi de père est critiqué, Philotas réplique qu’il continuera à défendre la grande cause patriotique même si vous pouvez démontrer le contraire d’une manière irréfutable.

Par son érudition minutieuse, l’étude de Hugh Barr NISBET est désormais l’ouvrage aussi indispensable qu’incontournable de la vie et de l’œuvre de LESSING, même s’il convient de déplorer que sa publication ne soit accessible que par sa traduction en Allemand !!

Discussion:

Le courant humaniste de la Maçonnerie allemande est illustré par Nathan le Sage de Gotthold Ephraïm Lessing, chez José Corti.