The Bard. Robert Burns, a biography

Robert CRAWFORD, Cape, 2008, 466 p.

Une biographie décapante

par Francis DELON

Cet ouvrage a fait l’objet, dans The Times Literary Supplement du 16 janvier 2009 (pp. 3-5), d’une analyse de Joe PHELAN, Reader in Nineteenth Century Literature à De Montfort University et co-éditeur de The Poems of Browning dont le troisième volume a été publié en 2007.

L’auteur, Robert CRAWFORD, est l’éditeur de « Heaven Taught Fergusson » : Robert Burns’s favourite Scottish poet et le co-éditeur de Scottish Religious Poetry : An anthology (2002). Ses Selected Poems sont parus en 2005 et sa sixième collection de poésie, Full Volume, a été publiée en 2008.

Un message d’Alex SALMOND, le Premier Ministre d’Ecosse, sur le site Web de la « Robert Burns World Federation » présente Robert BURNS (1759-1796) comme le poète national et l’icône culturelle de son pays et le place sur la liste des grandes contributions de l’Ecosse au monde à côté du whisky, du golf et des Lumières. Bien qu’il ne traite pas directement des interprétations hagiographiques de BURNS, The Bard, cette biographie aussi accessible que décapante, est incontestablement dirigée contre cette appropriation douteuse du poète par l’industrie de l’héritage écossais. Pour CRAWFORD, les relations de BURNS avec une Ecosse très différente de celle d’aujourd’hui ont toujours été mouvementées, méfiantes et sans concession. Ainsi, sa meilleure poésie se trouva toujours en contradiction avec les conceptions de la communauté dans laquelle il grandit et dont il resta émotionnellement et culturellement attaché.

Le récit particulièrement détaillé par CRAWFORD de l’enfance et de la jeunesse de BURNS souligne les forces contradictoires qui façonnèrent la maturité du poète. Son père, William BURNES, appartenait à la classe des pauvres : un homme sérieux, craignant Dieu, décidé à donner à ses fils une éducation aussi bonne que les circonstances lui permettaient et dont il fit un portait idéalisé dans The Cotter’s Saturday Night. Cette éducation permit à BURNS d’entrer en contact avec les modèles littéraires anglais. CRAWFORD a ainsi relevé dans sa poésie l’influence des œuvres de POPE, SHENSTONE et des autres poètes britanniques. En revanche, par sa mère, il se familiarisa avec la tradition orale des chansons et des contes qui devint l’une de ses principales sources d’inspiration. Certains problèmes d’attribution, qui continuent à se poser aujourd’hui, viennent d’ailleurs de la profondeur de son identification avec cette tradition. Tout au long de sa vie, il rassembla et adapta nombre de ces chansons obscurcissant ainsi la frontière entre la transmission et l’œuvre originale.

Ces premiers chapitres décrivent également un monde dominé par une religiosité oppressante véhiculée par The Kirk (l’Eglise Presbytérienne écossaise) mais astucieusement battue en brèche. Le plus grand poème de BURNS, The Holy Fair, donne ainsi une description vivante de mélange bizarre de sermons et de fortes beuveries !

Même après son mariage avec l’indulgente Jean ARMOUR, il continua à profiter des nombreuses opportunités de conquête sexuelle que lui offraient son charme et son pouvoir de séduction.

Bien que poète, BURNS fut obligé de gagner sa vie par le travail agricole la majeure partie de sa vie. Toutefois, les communautés du Ayrshire, au sein desquelles il vivait, n’étaient pas entièrement privées de contact avec les courants de pensée existant à Edimbourg, la capitale écossaise des Lumières. CRAWFORD a ainsi relevé les nombreux cercles sociaux formels et informels fréquentés par BURNS. Les Francs-Maçons, le Tarbolton « Bachelors Club » et les nombreux amis issus de sa classe sociale ne lui apportèrent pourtant pas l’appui nécessaire à la publication de ses chansons et de ses premiers poèmes. Ce ne fut d’ailleurs pas un mécène mais un proche d’Irvine, Richard BROWN, qui lui suggéra d’envoyer d’abord ses vers à un magazine. Cette indépendance lui permit plus tard de traiter ses futurs protecteurs sans mesquinerie ni servilité comme le remarqua d’ailleurs le philosophe Dugald STEWART. La conduite de BURNS dans ces circonstances était justifiée, en partie, par son appréciation perspicace des raisons de son succès auprès du public. Il savait qu’il était, pour certains de ses admirateurs, un spécimen exotique à exposer en public. En vérité, il exploita son image de Milton laboureur tout en étant également un Bardie, cet homme du peuple irrévérencieux et au parler franc.

Le chapitre de CRAWFORD sur la première visite décisive de BURNS à Edimbourg consécutive au succès de ses Poems Chiefly in the Scottish Dialect (1786) est intitulé, non sans un certain humour, « Nouveau Monde » en clin d’œil au destin que le succès littéraire lui évita. Avant la publication de ses Poems, il était plus au moins décidé à émigrer aux Indes Occidentales, très certainement pour travailler comme l’un de ces « expatriés » contraint d’exploiter leurs esclaves. Ce projet, incompatible avec l’œuvre d’un poète réputé pour ses proclamations en faveur de l’égalité des hommes et pour son hostilité envers les prétentions de la monarchie et de l’aristocratie, résulte simplement de la cruelle nécessité dans laquelle se trouvaient les hommes de la condition sociale de BURNS pour gagner leur vie. Il devint même, plus tard, collecteur de taxes alors qu’il s’était déchaîné, dans ses premiers écrits, contre ces ennemis implacables des pauvres.

La Révolution Française éveilla soudainement la méfiance des autorités établies envers sa poésie. Dès le début des années 1790, ses supérieurs du Bureau des Taxes commencèrent à émettre des doutes sur sa loyauté envers le Roi et son Pays. Les réponses de BURNS à leurs interrogations (professions de loyauté envers la Constitution Britannique, appartenance au Royal Dumfries Volunteers) sont interprétées par CRAWFORD comme le résultat de ses inquiétudes sur ses moyens de subsistance plutôt que comme la preuve de ses principes politiques et démocratiques radicaux. Ces engagements officiels furent accompagnés d’actes de défiance à l’image de certains de ses poèmes, notamment Auld Lang Syne, revendiquant un Jacobitisme et un Jacobinisme souchés sur la tradition nationaliste de l’Ecosse. En fait, comme le chansonnier français Pierre-Jean de BERANGER, un poète avec lequel il a de nombreux points communs, BURNS suscita de nombreux imitateurs parce qu’il a su traduire les sentiments aussi puissants que silencieux de la solidarité sociale et de l’orgueil national dans des circonstances politiques défavorables.

La volonté de CRAWFORD d’exonérer BURNS de toute accusation d’apostasie politique donne à certains chapitres de son ouvrage une connotation apologétique. Ce souci de défendre le poète apparaît également dans les parties consacrées à sa conduite morale qui fut loin d’être exemplaire. Ainsi, alors qu’il entretenait une correspondance amoureuse avec une femme mariée, Agnes MCLEHOSE, il séduisit et engrossa une de ses servantes, Jenny CLOW. Si CRAWFORD souligne les écarts de conduite de son héros, il tient à nous rassurer en insistant sur son profond attachement pour ses enfants alors que de nombreux témoignages attestent du contraire.

CRAWFORD a su également dénicher des documents demeurés inédits comme le récit du journal du Révérend James MacDONALD relatant ses longues conversations avec le poète. Son souci de donner au lecteur un ouvrage accessible l’a d’ailleurs conduit à réserver aux notes les détails de ses découvertes et les sources de sa formidable érudition.

Bien qu’universitaire, il essaie également d’échapper à la pédagogie conformiste qui affecte généralement les travaux universitaires sur BURNS. Ainsi, les Maçons de Tarbolton, la Loge du poète, sont devenus un club social offrant des soirées de bingo et de football sur la télévision par satellite !

CRAWFORD, en établissant des passerelles entre l’Ecosse moderne et le pays décrit par BURNS, fait implicitement exploser l’image statufiée du poète dans le musée de l’Ecosse et suggère que son œuvre peut retrouver sa véritable place dans la mémoire de son peuple.

Notons également que The Bard est publié en même temps que The Best-Laid Schemes, une sélection de poèmes en vers et en prose co-édités par CRAWFORD et Christopher MacLACHLAN.

Discussion:

En 1996, pour le bicentenaire de la mort du poète avait été publié un Robert Burns, The Freemason, édité par John Weir, chez Lewis. En 2009, nous célébrons le 250è anniversaire de sa naissance.