La vraie maçonnerie d'adoption

Par un chevalier de tous les Ordres Maçonniques – 1787 – Prolégomènes de Françoise Moreillon. Editions Abatos. Deuxième trimestre 2009. 25 euros.

Au moment où la maçonnerie française est une nouvelle fois agitée par la question de la mixité avec le cortège obligé de polémiques simplificatrices, la réédition de ce petit livre est une aubaine.

Louis Guillemain de Saint-Victor, déjà auteur du « Recueil précieux de la Maçonnerie adonhiramite » avait formalisé ces rituels dès 1779. Son ouvrage paraît en 1787 au moment où le Grand Orient de France a quasiment fini d'unifier et de codifier la quasi totalité des rites en France, la première version de ce qui sera le « Régulateur » étant complète dès 1785. Son livre s'inscrit donc tout à fait dans ce mouvement. La « mise en ordre » de Guillemain a bien sûr son revers. Comme le note ailleurs la préfacière Françoise Moreillon, le rituel se trouve alors surchargé d'éléments moralisateurs comme l'herméneutique elle-même qui se « dé-théologise », si l'on peut dire, pour, elle aussi, se moraliser. Toutefois l'existence d'un tel ouvrage nous montre, et ça n'est pas mince, à quel point la maçonnerie des femmes est prise au sérieux. Si la rhétorique « aimable » est toujours présente, on est déjà assez loin du pur et simple badinage et encore plus, bien sur, de l'indifférence britannique. (De ce point de vue, existe-t-il des travaux précis, comparatifs, sur la réception des femmes en maçonnerie entre les îles britanniques et la France?).

Mais pouvait-il en être autrement en France? Passons sur la crainte des frères de l'accusation d'homosexualité, assez réelle pour qu'aux agapes au moins la présence de femmes soient vivement encouragée. Intéressons nous plutôt à la présence et au rôle capital des femmes dans la nouvelle sociabilité qui se met en place au XVIIIe siècle. Les salons, d'abord, de Mme du Deffand, de Julie de Lespinasse, de Mme Geoffrin, etc... Mais aussi ce foisonnement de sociétés androgynes « maçonniformes » comme les appellent Gisèle et Yves Hivert-Messeca: de « L'Ordre de la Méduse » à « L'Ordre des Chevaliers et Chevalières de la Colombe » en passant par les célèbres « Mopses » et autres « Ordre des Fendeurs et des Fendeuses ». Sans oublier les exemples remarquables de femmes intellectuellement émancipées dont le parangon est sans doute Mme du Châtelet.

Guillemain ne se veut pas qu'un metteur en ordre. L'ouvrage commence en effet par une « épître aux dames » qui mérite de rester célèbre. Guillemain, même si la rhétorique obligée de l'époque et d'autres éléments venus plus tard dans les rituels eux-mêmes sont quelque peu en contradiction avec son propos, nous livre en effet un manifeste pré-féministe: « (...) nous sommes convaincus (...) que nous ne pouvons nous séparer de vous sans devenir stupides ou malheureux, et qu'étant, ainsi que nous l'ouvrage du Créateur de l'Univers, vous avez de même un coeur, des sens, des désirs, de la raison, et la puissance d'en faire usage; et qu'enfin, si tant de fois nous nous sommes arrogé le pouvoir de manquer aux devoirs de la société, ce n'est qu'en nous autorisant de la loi du plus fort, loi que nous avouons être criminelle, quand on s'en sert à votre égard. Ainsi, mesdames, détruisant les sentiments ridicules qu'un faux amour-propre nous avait donnés, nous vous reconnaissons aussi libres et raisonnables que nous. ».

Pour le reste, Guillemain, légitime les loges d'adoption en les replaçant dans l'histoire mythique de la maçonnerie. Il encadre très précisément l'activité en loge aussi bien pour ce qui est des rituels d'initiation aux quatre degrés retenus (le quatrième étant celui de Parfaite maçonne) que pour les rituels de table et les santés qu'il comporte ainsi que lors de la description du tableau. Un changement remarquable est apporté. Le mythe d'Ève est repris dans un contexte strictement biblique, alors qu'au début du siècle le rituel indiquait qu'Ève croquait consciemment la pomme à l'invitation du Vénérable Maître et non dans la transgression des ordres divins, sous l'influence du serpent. De même, le premier grade est beaucoup plus conçu comme une simple cérémonie de réception, le contenu initiatique étant réservé aux deux suivants.

Françoise Moreillon ajoute d'intéressants commentaires: « La mise en ordre qu'il effectue sous-tend que désormais les soeurs ni leurs loges ne peuvent plus mener une existence qui ne dépende pas des frères. (...)Dès lors, les loges d'adoption sont souchées sur des loges masculines. Le sens du mot « adopté » des commencements, traduction littérale du mot anglais « adopted », identique à celui du mot « accepté », n'est plus compris.(...) On n'est pas dans le cadre de la mixité telle que la conçoit notre société moderne. Les rôles sont bien différenciés et non interchangeables. Il n'y a pas de risque de confusion des genres. En Loge, on est dans un côte à côte, dans la recherche d'un Art de vivre ensemble. ».

Cent ans plus tard, l'entrée des femmes dans la maçonnerie se fera sur des revendication toutes différentes.

Discussion :

Aujourd’hui, une seule loge de la Grande Loge Féminine de France, la Loge Cosmos, pratique un rituel dit d’adoption. Le débat à propos de ce rituel est de savoir s’il existe une initiation spécifiquement féminine (cf. Les hauts grades écossais au féminin, Le Suprême Conseil Féminin de France par Andrée Buisine, édition Conform, 2007) comme le soutient aussi Mircea Eliade. Dans cette optique la Loge Heptagone, dirigée par l’épouse de Christian Jacq, pratique une initiation qui se veut essentiellement féminine fondée sur le tissage, comme l’a défendu René Guénon. Certes, mais Dieu lui-même se fait, à l’occasion, tisserand (cf. Renaissance Traditionnelle, n° 150, article de Jérôme Rousse-Lacordaire).