Digging and dealing in eighteenth century Rome

laria BIGNAMINI and Clare HORNSBY,

Yale University Press, 2010, 622 p.

par Francis Delon

Le Duc de SUSSEX Archéologue

Cet ouvrage a fait l’objet, dans The Times Literary Supplement du 12 mars 2010 pp. 10-11, d’une analyse de David WATKIN, Professeur Emérite d’Histoire de l’Architecture à l’Université de Cambridge, auteur de Sir John Soane : Enlightenment thought and the Royal Academy Lectures (1996) and The Roman Forum (2009).

En 1776, le Duc de GLOUCESTER, frère de George III, était entré en partenariat avec le Prince BARBERINI et Thomas JENKINS pour effectuer des fouilles dans le domaine de Quadraro au sud de Rome. Presque deux décennies plus tard, son neveu, le Prince Augustus, futur Duc de SUSSEX, passa plusieurs années comme archéologue amateur à Rome avec son partenaire commercial, Robert FAGAN, obtenant la première autorisation générale accordée à un archéologue britannique et probablement la seconde délivrée à un ressortissant non italien.

Ce grand travail d’érudition archivistique est la première étude détaillée des fouilles effectuées à Rome et dans le Latium par des hommes d’affaires britanniques à l’époque du Grand Tour.

Entrepris par Ilaria BIGNAMINI, historienne de l’art et archéologue rattachée à Oxford et la British School de Rome, il restait inachevé après la mort accidentelle de son auteur en 2001. Andrew WALLACE-HADRILL, Directeur à l’époque de la British School, confia alors à Clare HORNSBY, Research Fellow de cette institution, le soin d’achever cette somme.

Ces deux volumes sont le fruit d’années de recherche dans les Archivio Storrico dei Musei Vaticani, la Biblioteca Apostalica Vaticana, les Archivio di Stato di Roma, la Biblioteca Archeologia e Storia dell’Arte, l’Ecole Française de Rome et le British Museum.

Les règles régissant les fouilles et l’exportation des œuvres d’art avaient été fixées par le Pape et sont restées en vigueur jusqu’à l’occupation française de Rome et la proclamation de la République romaine en 1798-1799. Sous le contrôle de la Reverenda Camera Apostolica (Chambre Apostolique) dirigée par le Cardinal Camerlingue, les propriétaires bénéficiaient d’un tiers des antiquités trouvées sur leurs terres, l’archéologue et ses associés du second tiers et la Chambre Apostolique du dernier tiers. Si celle-ci estimait que les découvertes pourraient enrichir les collections du Vatican, ils devaient alors en céder un autre tiers ou même la totalité à la Papauté à un prix inférieur au marché.

Après la fin de la Guerre de Sept Ans en 1763, le nombre de gentleman effectuant le Grand Tour s’accrut fortement conduisant à ce que BIGNAMINI appelle la Conquête britannique des Marbres de l’ancienne Rome. Les quatre principaux archéologues et marchands britanniques (Thomas JENKINS, Gavin HAMILTON, Colin MORRIS et Robert FAGAN), venus à l’origine à Rome pour étudier l’art italien et vivre de leur peinture, découvrirent rapidement que les affaires étaient plus rémunératrices car elles leur procuraient un emploi à plein temps. Supervisant près de quatre vingt chantiers, ils purent ainsi vendre et exporter des centaines d’œuvres d’art.

L’élection comme Pape du Cardinal Angelo Giovanni BRASCHI, sous le nom de Pie VI (1775-1799), avait été accueillie avec un préjugé favorable car, en tant que protecteur des arts, il œuvrait à la transformation du Vatican en musée et qu’il entreprenait également un vaste programme de réformes économiques, institutionnelles et bureaucratiques.

Cette Conquête britannique fut bien accueillie à Rome, essentiellement pour deux raisons. Tout d’abord, les Papes eux-mêmes bénéficièrent des fouilles effectuées par les Anglais. La majorité des sculptures rejoignirent ainsi le récent Museo Pio Clementina du Vatican, qui fut ouvert au public à partir de 1784. Par ailleurs, le Souverain Pontife considérait de plus en plus l’Angleterre, qui possédait la marine la plus puissante en Méditerranée, comme la seule puissance susceptible d’enrayer l’extension de la Révolution française.

Il convient également de noter la présence presque constante à Rome pendant de nombreuses années de plusieurs membres de la famille de George III, lui-même grand collectionneur de livres et de tableaux.

Ses frères, les Ducs d’YORK, de GLOUCESTER et de CUMBERLAND, visitèrent Rome à plusieurs reprises entre 1764 et 1787 tandis que son sixième fils, le Prince Augustus, y vécut entre 1791 et 1796. Le Duc d’YORK fut ainsi le premier membre de la famille à visiter Rome et à rencontrer un Pape, Clément XIII, au cours d’une cérémonie religieuse. En effet, avec ses frères et son neveu, il témoignait à la Papauté des sentiments amicaux de l’Angleterre protestante envers la Rome catholique.

L’autorisation accordée au Prince Augustus en 1793 et renouvelée en 1796 lui permit de creuser pratiquement n’importe où à Rome et dans les Etats Pontificaux. Elle fut sans doute consentie pour des raisons politiques.

Dans une lettre de JENKINS à TOWNLEY, en 1792, concernant des négociations pour obtenir une licence d’exportation de la statue aujourd’hui connue sous le nom de « Discobole de Townley » exposée au British Museum, celui-ci lui expliquait que le Prince Augustus a tellement flatté Sa Sainteté qu’il n’existe presque plus rien qu’elle ne puisse faire pour être agréable aux Anglais. Je peux donc vous affirmer avec certitude, Monsieur, que cette statue est votre.

JENKINS, qui était d’ailleurs en bons termes avec Clément XIV, agit, pendant de nombreuses années, comme le représentant officieux de Londres auprès du Saint-Siège en l’absence d’une légation britannique.

Discussion :

On connaît bien le duc de Sussex (1773-1843) membre de la famille royale, fils et frère de rois, oncle de la reine Victoria, jouant un rôle actif dans la vie publique anglaise par le biais de nombreuses associations de bienfaisance.

On connaît le duc de Sussex ardent philo-sémite, militant pour l'intégration des juifs dans la société anglaise. Il fut le premier membre de la famille royale à être admis dans une synagogue à Londres. Il avait appris l'hébreu et était membre d'honneur de plusieurs sociétés de bienfaisance israélites anglaises.

On connaît le duc de Sussex comme premier Grand Maître de la Grande Loge Unie d’Angleterre (1813-1843). Il a façonné la nouvelle maçonnerie anglaise en la déchristianisant (il ne s’agit en rien d’une laïcisation à la française) et en écartant les hauts grades ou side degrees pour qu’elle puisse jouer son rôle de rassemblement social, intellectuel et religieux et pour qu’elle devienne aussi un facteur d’intégration au service de l’Empire.

On connaît le duc de Sussex, homme cultivé et ouvert et ce livre nous le montre encore en insistant sur les excellents rapports qu’il entendait aussi entretenir avec le monde catholique et la papauté.