La Franc-maçonnerie et les Stuarts au XVIIIème siècle:

stratégies politiques, réseaux, entre mythes et réalité.

Politica Hermetica n°24, Editions Delphica, l’Age d’Homme – 2010.

par Jacques Tournant

Le mythe de l’influence stuartiste qui présida au développement de la franc-maçonnerie au XVIIIème siècle fait partie de ces mythes tenaces qui, de nos jours encore, trouve des défenseurs, parfois des défenseurs a priori convaincants.

C’est un coup dur qui leur est porté ici, qui consiste non pas à chercher unilatéralement les traces de l’activité de quelques stuartistes au sein des loges mais à étudier d’une façon plus large et interactive, avec une méthodologie historique plus rigoureuse, l’histoire des deux mouvements, quitte à s’apercevoir qu’il n’y a, à travers toute l’Europe, que peu de crédibilité à accorder à l’action politique déterminée de la franc-maçonnerie en faveur des Stuarts.

Michel DUCHEIN étudie le contexte politico-religieux dans l’Angleterre de Jacques II aux Hanovriens. Notant que la vie intellectuelle britannique de la première moitié du XVIIIème siècle, portée par une liberté nouvelle exempte de tyrannie était favorable aux créations, il souligne l’aspect kaléidoscopique de la franc-maçonnerie naissante en Angleterre et de sa diaspora. Ni rationaliste, ni occultiste, ni religieuse, ni déiste, ni athée, ni hanovrienne, ni stuartiste donc : la franc-maçonnerie d’alors est plurielle et c’est bien là la seule volonté qu’elle affiche.

Steve MURDOCH analyse les éventuels réseaux de conspiration dans l’Europe du Nord (1688-1746). Selon lui, si des stuartistes ont bien agi au niveau politique auprès des états scandinaves et russes pour favoriser leur cause, il faudrait aussi étudier un sujet mal connu : celle de l’activité de la maçonnerie hanovrienne tant les deux maçonneries cohabitaient alors dans cette zone géographique. Beaucoup de jacobites étaient francs-maçons mais la plupart des francs-maçons n’étaient probablement pas stuartistes. Dans l’ensemble leurs activités politiques, variées et concomitantes, révolutionnaires et contre-révolutionnaires dépassèrent avant et après la période jacobite. S’ajoute une sévère critique méthodologique des tenants de la thèse maçonnico stuartistes qui, par des rapprochements hâtifs, voient une cause là ou il n’y a souvent qu’une conséquence aux engagements politiques de chacun. Pour l’auteur, point de complot régional et encore moins de complot maçonnique global.

Jean-Marie MERCIER, qui a bénéficié des réactions les plus fortes du public lors de son intervention, traite d’un problème particulier : Les origines jacobites de la franc-maçonnerie écossaise en Avignon et nous invite à repenser historiquement ce qui apparaît comme un mythe. L’un de ses arguments majeurs est que le cardinal DE BELZUNCE, qui n’est pas vraiment favorable à l’établissement de la maçonnerie et par contre fort attentif aux différents évènements qui affectent l’institution ne signalera jamais dans ses différents reproches d’engagement politique en faveur des Stuarts alors que lui-même était très favorable à cette cause. Ni lui ni l’importante production littéraire de l’époque. Les autres éléments évoqués convergent vers une remise en cause de la légitimité d’une franc-maçonnerie jacobite au milieu du XVIIIème siècle.

José Antonio FERRER-BENIMELI, fin connaisseur des archives vaticanes, va chercher là la solution à la question posée par la présence de la franc-maçonnerie stuartiste à Madrid et à Rome. Selon lui il n’y a pas de doute à avoir. Là encore, des hypothèses simplificatrices, des rapprochements hasardeux placent une telle thèse en dehors du champ historique. Une analyse fouillée de la constitution de la première loge madrilène (1728) et du rôle qu’y tint le duc de WHARTON, alors récemment blackboulé de Londres et dont les choix à venir allaient montrer la vacuité, montre qu’il y a là beaucoup de questions qui cherchent des réponses mais aucune chance de voir Jacques III franc-maçon.

Enfin Pierre-Yves BEAUREPAIRE étudie un cas particuliers du microcosme maçonnique dans : « Le Parnasse de Chaulnes et l’Art Royal, itinéraire d’un Duc et Pair entre équerre et microscope dans la France de Louis XV ». Il y dresse le portrait sympathique d’un maçon aristocrate, mondain, amateur et savant, dont l’anglophilie est réelle mais qui se refuse à prendre parti dans les querelles politiques des britanniques de son temps.

Suivent les études de l’année 2010, avec une évocation par Valéry RASPLUS du dernier livre de Roger DACHEZ, « L’invention de la franc-maçonnerie : des opératifs aux spéculatifs » et un travail sur Michel SERRANO, romancier et ésotériste d’extrême droite, personnage complexe décédé récemment, par Jean-Yves CAMUS et Stéphane FRANCOIS. Sont évoqués son action durant les années noires et sa postérité auprès du mouvement new age ou auprès des curieux de questions spirituelles.

Discussion :

La remise en question de la Maçonnerie stuartiste et son classement au rang de légende suscite encore quelques réactions négatives comme le prouve encore un intervenant lors du colloque qui s’est fermement élevé contre cette façon de voir sans cependant apporter d’argument autre que des sous-entendus sibyllins. La méthode universitaire qui étudie l’histoire à partir de documents a conduit à distinguer l’histoire réelle de l’histoire mythique. Henry Corbin distinguait aussi ce qu’il nommait l’historicité ou histoire réelle ou existentielle de l’historialité ou histoire mythique ou « existentiale », préférant cette dernière car la légende vit toujours.

La revue Politica Hermetica entame sa 26ème année d’existence. Le premier colloque, en 1985, fut confidentiel et n’a pas été l’objet d’une publication l’année suivante. Le premier numéro fut donc celui de 1987 reprenant les actes du colloque de1986. Utilisant la méthode universitaire fondée sur l’étude des documents, une méthode « qui nous a fait tant de mal » comme le dit plaisamment Jean-Pierre Laurent, quelques numéros furent consacrés à la franc-maçonnerie dont, en 1990, « Maçonnerie et antimaçonnisme, de l’énigme à la dénonciation».

Le numéro 24 (25ème année) est consacré à « La franc-maçonnerie et les Stuarts au XVIIIème siècle. Stratégies politiques, réseaux, entre mythes et réalités ». Ce thème s’inscrit parfaitement dans la problématique de la revue - politique et ésotérisme - et s’applique bien à la franc-maçonnerie qui est à la fois une organisation qui joue et revendique un rôle dans la société en même temps qu’elle se réfère à un légendaire, à un ésotérisme.

Les Stuarts donc : dans ce numéro c’est Michel Duchein, archiviste paléographe, franc-maçon et grand spécialiste de la question qui introduit le débat sur les relations entre les Stuarts et la franc-maçonnerie au XVIIIème siècle.

Pour quelles raisons la franc-maçonnerie aurait-elle une relation avec les Stuarts ? Certes la franc-maçonnerie est un réseau social cependant il y a un paradoxe de taille : l’ordre est plus ou moins associé à l’idée des « lumières » alors que le modèle politique des Stuarts était la monarchie absolue de Louis XIV.

Concrètement, s’il est indiscutable qu’il y avait des stuartistes dans les loges, avaient-ils vraiment une action spécifique ?

Comme toujours l’étude de quelques exemples concrets est éclairante comme le cas de Monseigneur de Belsunce, évêque de Marseille, qui était un ami personnel du Prétendant tout en étant un anti-maçon acharné…

Rappelons aussi que nombre de frères passèrent d’un camp à l’autre (Hanovriens ou Stuartistes) au gré des circonstances et des récompenses, sans oublier le fait que ces frères se ressentaient, en France, avant tout comme des britanniques.

Reste le légendaire, cette terre d’Ecosse qui apparaissait encore pour beaucoup, au XVIIIème siècle, comme un pays mal connu, une terre de légendes qui pouvaient plaire aux francs-maçons –ce qui ne doit pas nous faire oublier que si les Stuarts furent catholiques, l’Ecosse de cette époque était d’un calvinisme rigoureux- ou encore le fait que le dernier Prétendant finit peut-être, à force de le lui répéter, par croire lui-même à ces liens entre la franc-maçonnerie et sa famille et à délivrer une patente qui serait conservée dans le coffre-fort de la Grande Loge de Suède ou enfin l’existence supposée de loges militaires stuartistes venues en France à la fin du XVIIème siècle dans le sillage de Jacques II - bien qu’il n’existe aucun document attestant une telle réalité même si la première affirmation relative à cela remonte aux années 1730 dans les écrits de Bertin du Rocheret et même si le Grand Orient de France a fini par reconnaître une de ces loges à la fin du XVIIIème siècle…