Plus qu'un club ? Quatre monographies sur la Franc-maçonnerie anglaise

Par Jean Yves Legouas, Editions de la Hutte, 2010, 245 pages.

Les Editions de la Hutte ont eu la bonne idée de publier ce petit livre écrit par Jean Yves Legouas qui rassemble quatre études concernant la Maçonnerie anglaise étudiée sous différents aspects.

On découvrira ainsi successivement :

  1. Propos autour d’une colonne.
  2. William Hogarth, Franc – Maçon, et son temps.
  3. Le Duc Philip de Wharton.
  4. Propos sur la Franc – Maçonnerie.

Essayons de survoler autant que faire se peut les différents chapitres et d’en extraire les grandes lignes.

1/ Propos autour d’une colonne.

Cette étude est une allusion directe au Monument au grand incendie de Londres situé dans Fish Hill Street et réalisé par Sir Christopher Wren et Robert Hooke entre 1671 et 1677.

Cet édifice ne devait pas seulement être un souvenir d’une catastrophe mais aussi un instrument scientifique devant servir, entre autre chose, à des expériences sur la gravitation et le mouvement du pendule. Un cabinet scientifique souterrain devait permettre d’y procéder.

Cette colonne avait donc un but utilitaire…ce qui nous ramène au rituel maç. Car on ne peut oublier que les colonnes que nous connaissons bien, avaient pour destination lors de la construction du Temple de Jérusalem d’entreposer les outils de géométrie ainsi que la paie destinée aux ouvriers.

Si l’on considère les sphères couronnant les colonnes, on est en droit de penser que nos FF. de la fin du 17ème siècle ont voulu insister sur l’importance du savoir et de l’étude des arts et des sciences pour le maçon.

Donc, il n’est pas saugrenu de penser que l’idée de connaissance associée aux colonnes aient paru naturelle aux premiers maçons « spéculatifs « …et après tout, Sir Christopher Wren, membre éminent de la Royal Society n’a-t-il pas vu son nom associé d’une façon ou d’une autre à la Franc - Maçonnerie sans être membre lui même de celle-ci ?

2/William Hogarth, franc – maçon et son temps.

Cette deuxième étude, consacrée à Hogarth, permettra au lecteur peu familier avec l’oeuvre de ce dernier d’entrer dans le monde de l’artiste.

Hogarth, franc – maçon, n’est pas tendre avec l’Ordre même s’il fut Grand Steward et dessina le bijou de cet office.

Peintre des moeurs de son temps, son oeuvre est très souvent cruelle mais ne fait que refléter une réalité sordide…

Hogarth, homme de son époque, encore une fois, est un homme de clubs, de ces clubs qui fleurissent à Londres et qui symbolisent une forme de convivialité ‘’ ritualisée ‘’ que leur objet soit politique, satirique, social, gastronomique ou bacchique !

Et après tout, qu’était la jeune Grande Loge de Londres et de Westminster dans les années 1717 / 1723… ?

Sinon, une forme de club parmi d’autres et qui s’inscrivait parfaitement dans un contexte épris de cérémonial mais aussi de joie de vivre…et de pouvoir communiquer et échanger sans craintes.

3/ Le Duc Philip de Warton.

Ce chapitre est le plus long de ce livre, il s’agit même d’une monographie assez détaillée de ce personnage méconnu qui a la particularité, nous fait malicieusement remarquer l’auteur d’être , à ce jour, le seul Frère à avoir été successivement Grand Maître de la Grande Loge de Londres et Grand Maître des Loges de France !

Dans ces 126 pages que Jean Yves Legouas consacre au Duc de Wharton, que peut on retenir de cette courte vie marquée par la débauche et les excès dans tous les domaines ?

C’est bien entendu cette image négative qui domine dans tous les essais biographiques mais Wharton ne fut il que cela ? Membre du Hell Fire club, c’est certain mais pour Jean Yves Legouas, c’était une personnalité multiple…

Jacobite de coeur, comment cet homme arriva t il à la tête de la Grande Loge plutôt réputée hanovrienne ?

Il faut dire que l’habileté politique n’était pas son fort et qu’il aurait pu se laisser manoeuvrer facilement, servant, à son corps défendant, de caution stuartiste à cette obédience.

La thèse qui sous tend le chapitre consacré à Wharton et qui rejoint les théories défendues par André Kervella est qu’il existait une maçonnerie ‘’ ancienne ‘’ franchement stuartiste qui n’eut pas le choix et se fondit dans les rangs de la Grande Loge de Londres à quelques exceptions, car on sait que toutes les loges ne reconnurent pas l’autorité de ce nouveau corps.

Jean Yves Legouas applique ce raisonnement, un peu trop vite, à notre avis, à la création de la Grande Loges des Anciens en 1751..il n’est pas toujours bon de voir l’ombre des Stuart partout !

Par contre, Jean Yves Legouas pense qu’il n’existait pas forcément une opposition radicale entre un théisme supposé des maçons à l’ancienne et le déisme des maçons modernes.

Et cette opposition existait elle réellement ?

Bref, le Duc de Wharton a été choisi pour présider à la Grande Loge surtout en raison de son rang social…

L’organisation qui avait eu à sa tête le Duc de Montaigu pouvait elle nommer à nouveau un Grand Maître roturier ?

Ce choix eut des conséquences qui perdurent et expliquent le pourquoi de certaines nominations.

Et si Wharton se retrouva à la tête des Loges de France, ce fut, sans nul doute, pour les mêmes raisons.

4/ Propos sur la Franc – Maçonnerie.

Dans ce dernier chapitre, notre auteur prend pour point de départ la pensée d’un Frère anglais peu connu chez nous : Walter Wilmshurst (1867 – 1939). Ce Frère , auteur essentiellement de deux ouvrages ‘’ The Meaning of Masonry ‘’ et ‘’ The Masonic Initiation ‘’ parus entre 1922 et 1924 appartenait à cette frange de la Maçonnerie anglaise attirée par l’occultisme.

Mais, ce qui nous intéresse, c’est l’opinion de Wilmshurst sur les rituels maçonniques anglais.

A son époque, ses écrits apparaissaient comme iconoclastes : ‘’ Il est absurde de penser qu’une organisation aussi vaste que la franc-maçonnerie fût établie simplement pour enseigner à des hommes adultes la signification symbolique de quelques simples outils servant à la construction, ou pour insister sur la valeur de vertus comme la tempérance ou la justice, ce que savent les enfants du moindre village, ou bien encore pour pratiquer des principes moraux tels que l’amour fraternel, ce que chaque église et chaque religion enseignent immanquablement ‘’.

Est-ce à dire que J.Y. Legouas fait sienne ces affirmations ?

Non, mais il se livre à une très intéressante réflexion sur le Style Emulation qui mérite d’être lue avec beaucoup d’attention…et qui , nous en sommes persuadés, devrait ‘’ interpeller ‘’ les Frères pratiquant ce Rite et aussi les autres !

Ce chapitre, le plus fouillé de tout le livre, car, il nous concerne directement en tant que maçons ne laissera personne indifférent, essayant de tenir la balance en équilibre entre les maçons ‘’ anciens ‘’ et les maçons ‘’ modernes ‘’…imputant aux premiers d’avoir introduit un aspect plus moralisateur qu’ésotérique dans le rituel mais reconnaissant que les ajouts dus à des Frères de grande valeur comme Robert Murray ’’avaient donné leur véritable contenu ésotérique, initiatique et mystique à la maçonnerie telle que nous la pratiquons aujourd’hui".

Discussion :

Jean-Yves Legouas est un ancien officier de marine et un grand érudit maçonnique qui a appartenu à des loges de recherches. Sous le pseudonyme de Jean L’homme, il a participé à l’excellentDictionnaire thématique illustré de la Franc-maçonnerie.

Parmi les thèmes abordés dans ce livre, on notera celui des colonnes de la Franc-maçonnerie associées à l’idée de connaissance. Ce lien apparaît dans les Anciens Devoirs avec les colonnes ante diluviennes (et non pas celles du Temple de Jérusalem) sur lesquelles sont inscrites toutes les connaissances humaines ainsi préservés des dévastations du Déluge.

Quant aux théories sur les origines de la Grande Loge des Anciens apparue en 1751, elles ont évolué avec le temps. Il fut d’abord question d’une scission pure et simple d’avec la Première Grande Loge (de 1717). Henry Sadler, à la fin du XIXème siècle, a montré, au contraire, les origines irlandaises de la nouvelle Grande Loge. Aujourd’hui, les historiens s’acheminent vers une théorie intermédiaire remarquant d’une part combien les années 1740 furent problématiques pour la Grande Loge et, d’autre part, la communauté –assez répandue- dès les années 1760 des pratiques des loges « Modernes » et « Anciennes ».