Le Rite Ecossais Rectifié

Par Roger Dachez & Jean-Marc Pétillot – PUF « Que sais-je ? » N°3885 Collection « Religions » Paris Septembre 2010.

Roger Dachez est le Président de l’Institut Maçonnique de France et Jean-Marc Pétillot ancien Grand Maître de la Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra.

Cet ouvrage appartient à une série d’ouvrages « proposés par Alain Bauer » ancien Grand Maître du Grand Orient de France, avec lequel Roger Dachez a notamment publié dans la même collection en 2007 « Les 100 mots de la franc-maçonnerie » (Que sais-je ? » N° 3799).

La particularité du présent ouvrage est d’être, dans cette série consacrée à la franc-maçonnerie, le premier dont l’objet est de faire connaître un des rites pratiqués en maçonnerie, et non de décrire une obédience maçonnique comme les précédents ouvrages (hormis les « 100 mots »).

Après une brève introduction consacrée à la notion de « rite » dont les définitions lexicales réfèrent au religieux, l’ouvrage aborde successivement les aspects historiques, puis les structures, pratiques et doctrines du RER.

Au plan historique, les auteurs décrivent le milieu et les courants d’idées au sein desquels est apparu en France au dernier quart du 18e siècle, ce qui fut d’abord plus amplement qualifié de « régime écossais rectifié», pour marquer la cohérence d’un système dont le rite – « rectifié » pour l’occasion - était une composante. En effet, au cours des 50 années précédentes, un seul rite maçonnique avait été pratiqué en France, hérité de la franc-maçonnerie anglaise. Il sera qualifié de « français » postérieurement à l’émergence du « rectifié ».

Sont successivement abordées les notions d’ « écossisme » et d’ « illuminisme maçonnique », purs produits du Siècle des Lumières (de la Raison, et en réaction). Les auteurs évoquent l’une des sources fondatrices du rite : la notion de chevalerie, à l’origine d’un régime apparu en Allemagne au milieu du siècle – celui dit de la « Stricte Observance Templière (SOT) ». Ils précisent ensuite la part due, dans la constitution et la première pratique du RER, à ses « pères fondateurs » que furent Martinès de Pasqually (1710[?]-1774) et son Ordre théurgique des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers, Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) avec ses capacités d’inlassable chercheur et organisateur, et enfin Louis-Claude de Saint Martin (1743-1803) le « Philosophe inconnu » qui fit la synthèse de l’illuminisme du mystique allemand Jacob Boehme (1575-1624) et de la théosophie de Pasqually. La 1e partie se termine avec l’évocation de la vie du Régime – et donc de celle du rite – depuis ses premiers pas en 1778 jusqu’à nos jours. On y apprend comment la pratique en avait été perdue en France avant même la mort de Willermoz, et comment elle y revint de Suisse un siècle après s’y être « réfugiée ».

La 2e partie aborde les structures du rite : aux 3 grades symboliques traditionnels s’ajoute un 4e grade – le Maître Ecossais de St André – destiné à parfaire la symbolique qui soutient le grade de Maître, celle de la mort de l’architecte Hiram, mort au 3e grade et ressuscité au 4e, ménageant une transition avec les grades – et les enseignements – qui suivront dans les grades ultérieurs.

On nous explique que ces derniers ne constituent point des « hauts grades » au sens qu’on donne à cette expression dans tous les autres rites. L’Ordre « intérieur » des CBCS constitué de 2 grades, en fait complémentaires, le 1er préparant au second, puis la Grande Profession imaginée par Willermoz, elle-même subdivisée en 2, ne sont pas d’ordre strictement maçonnique ; le premier est nourri de symbolique chevaleresque, voire templière, et la seconde d’une plus haute spiritualité encore.

Les auteurs soulignent que les dénominations spécifiques des grades sont toutes issues de celles de la SOT – avec de légères modifications – mais que ces grades, composés par Willermoz, contiennent tous, de l’Apprenti au Grand Profès, de forts emprunts à la doctrine coën de Martinès de Pasqually, laquelle a inspiré à Willermoz la cohérence globale du Régime.

Les grades chevaleresques, « engagement dans l’ordre intellectuel, moral et spirituel », sont évoqués dans leur contenu ésotérique, non sans un certain lyrisme, avec leur vocation « à l’exercice des vertus religieuses, sociales et patriotiques ».

La Grande Profession, conçue par Willermoz comme « un cénacle choisi où serait préservée la doctrine coën appliquée à la maçonnerie… [pour assurer] …la pérennité des principes spirituels du Régime », et fondée comme telle sur une cooptation discrète, avait semblé disparue, il est vrai à une époque où le RER restait pratiqué de façon encore confidentielle. Un court article à la revue « Le Symbolisme » de 1969 permit de confirmer sa survivance et les fondements de son action.

En conclusion, les auteurs soulignent le caractère éminemment chrétien du RER, sans pour autant qu’il s’agisse d’une « religion de substitution ». Ils démontrent la cohérence de leur position en rappelant que le monde occidental baigne depuis des millénaires dans la théosophie chrétienne, et que notre culture est imprégnée de catholicisme romain, fût-ce aujourd’hui à notre corps défendant. Le RER, « riche de symboles et de rites qu’on ne voit pas ailleurs », en grande partie dus à l’héritage martinésiste, participe d’une « spiritualité rectifiée » avec ses préoccupations d’ordre métaphysique et éthique dont la fréquentation pour l’honnête homme ne peut que lui être bienfaisante.

Discussion :

Ce livre dont le style, le sens des formules et l’esprit de synthèse ne sont plus à démonter est le fruit exemplaire de l’école historique authentique appliquée à la Franc-Maçonnerie fondée, en France, par René Guilly-Désaguliers. C’est presque un demi-siècle d’études et de recherche qui est résumé ici, à commencer par la découverte, en 1966, du texte de 1809 du grade de maître Ecossais de Saint-André, l’examen approfondi de l’ouvrage majeur de Louis-Claude de Saint-Martin, Des Erreurs et de la Vérité, les textes essentiels de la Profession et de la Grande Profession dont la connaissance est indispensable à qui veut comprendre ce régime, etc. Il n’est donc pas étonnant que cet ouvrage s’ouvre sur de vastes perspectives et dépasse son objet propre. Au delà du rite écossais rectifié, c’est, entre autre, l’écossisme qui est interrogé et le rapport de la Maçonnerie au religieux en général et au christianisme en particulier. Cette dernière question est terriblement épineuse si l’on en croit certaine loge rectifiée qui assimile pratique maçonnique et pratique religieuse, rite écossais rectifié et religion chrétienne voire au catholicisme pur et simple. Qu’il y ait une doctrine dans le régime écossais rectifié, ce ne fait aucun doute (même si elle est souvent sous-entendue) mais elle ne se confond pas avec quelque dogme que ce soit.