L’Eglise et la franc-maçonnerie
par Michel Jarrige
par Jacques Tournant
Après un peu d’histoire maçonnique -où l’on pourrait trouver à redire mais l’objet du livre n’est pas là- l’auteur liste les condamnations de la Franc-maçonnerie par l’église catholique romaine, ainsi que les prophètes de l’antimaçonnisme.
Si la Maçonnerie opérative s’est développée au Moyen-Âge dans un monde "catholique", la franc-maçonnerie moderne est née, en Angleterre, dans un milieu protestant. De là les principales caractéristiques de la Franc-maçonnerie des origines : liberté de conscience en matière de religion, relatif affranchissement des barrières sociales, recherches de connaissance en commençant par l’étude de soi-même etc. Au XIXème siècle en France, la perspective change : le libéralisme, le positivisme et le scientisme évacuent le « religieux » et la Maçonnerie se politise, au service de la République.
L’Eglise catholique –mais elle n’est pas la seule- a condamné la Maçonnerie dès 1738. Deux motifs principaux se dégagent : le relativisme religieux et le secret. A partir de la Révolution française, un 3ème motif apparaît : le complot. La Maçonnerie est vue comme l’agent du Mal qui combat l’Église considérée comme l’agent du Bien.
Les premiers prophètes de l’antimaçonnisme sont : l’abbé Lefranc, l’abbé Aimé Guillon dit Guillon de Montléon, Félix Galart de Montjoie, l’abbé Barruel puis, au XIXème siècle Alexandre de Saint-Albin, Mgr de Ségur, François Xavier Gautrelet, Nicolas Deschamps et Mgr Fava.
L’auteur consacre principalement son étude sur l’antimaçonnisme catholique sous la IIIè République jusqu’à la guerre de 1914. Il est vrai que c’est sa grande période. Elle connût principalement deux phases :
La première court de la publication de bulle Humanus Genus fulminée par Léon XIII (1884) à la révélation de mystification de Léo Taxil (1897).
La seconde période court de la reprise de l’affaire Dreyfus (1899) à la déclaration de guerre (1914).
Dans la foulée de l’encyclique papale qui recommandait de « démasquer la franc-maçonnerie, Mgr Fava fonde une « revue documentaire », La Franc-maçonnerie démasquée. On ne saurait être plus clair. L’antimaçonnisme catholique croit toucher au Graal lorsqu’il prend connaissance de l’action de Léo Taxil qui introduisait l’idée du satanisme maçonnique. En 1893, est fondée L’Union antimaçonnique de France de l’abbé de Bessonies puis, l’année suivante, L’Union Antimaçonnique Universelle, puis la Ligue du Labarum Antimaçonnique (contre-maçonnerie sous la forme d’un ordre de chevalerie), les Œuvre des Messes Quotidiennes en Réparation des Blasphèmes et Sacrilèges Maçonniques et pour la Conversion des Franc-Maçons, etc. En 1896, se tient le premier Congrès antimaçonnique international à Trente, tentative d’unifier l’antimaçonnerie. Mais ce congrès est bien près de la roche Tarpéienne puisqu’en 1897, Léo Taxil avoue qu’il a tout inventé, Diana Vaughan, le Rite Palladique Nouveau et autres joyeusetés. Cette révélation est un véritable naufrage pour les antimaçons.
C’est la nouvelle tournure de l’affaire Dreyfus (1899) qui relance l’antimaçonnisme discrédité mais sous une autre forme. L’abbé Tourmentin abandonne l’accusation de satanisme pour jouer sur l’antisémitisme, le tout sur un fondement patriotique. Avec Paul Copin-Albancelli et la Ligue de Défense Nationale contre la Franc-Maçonnerie, l’antimaçonnisme prend une forme de nationalisme militant, certes catholique mais pas seulement.
Cette époque est aussi celle des théoriciens de l’antimaçonnisme. Abel Clarin de la Rive, le conseil antimaçonnique de France et la revue La France Chrétienne, revue de combat, sont atypiques. Se plaçant dans la perspective de l’encyclique de Léon XIII, critiquant la Maçonnerie tant sur le plan religieux que politique, Clarin de la Rive est un érudit qui connaît bien la Maçonnerie. Il connaît Papus, Wirth, Guénon. Flavien Brenier et la Ligue Française Antimaçonnique développe une pensée contre-révolutionnaire dans sa revue la Revue antimaçonnique, revue doctrinale. Un Institut antimaçonnique fut créé en 1913 pour codifier l’antimaçonnisme des points de vue historique, juridique, littéraire, artistique, social, etc. la Ligue s’organisa à l’image de la Maçonnerie en paramaçonnerie, en contre-loges, avec des réceptions, un serment, et même un ordre chevaleresque. Enfin le chanoine Jouin, la Ligue Franc-Catholique et la Revue Internationale des Sociétés Secrètes (1912) s’attachent principalement aux doctrines et pratiques occultistes et aux organisations considérées comme para-maçonniques comme la Ligue de l’Enseignement. Ils mènent un combat d’ordre moral et spirituel et non politique et tentent une approche religieuse de la question maçonnique.
Le combat antimaçonnique prend de multiples formes. L’obsession est de démontrer l’existence d’un complot maçonnique. Pour ces antimaçons ce complot a principalement trois formes : la Franc-maçonnerie est profondément anticatholique, antipatriotique et antisociale. Pour atteindre leur but les antimaçons font feu de tout bois. Ils publient les noms des Maçons, ils dévoilent les secrets maçonniques, ils cherchent à tourner la Franc-maçonnerie en dérision, utilisant d’ailleurs les mêmes méthodes que les maçons anticatholiques. Dans ce combat, la presse tient un grand rôle mais aussi les tracts, les brochures, les affiches, les manifestations publiques, les expositions, etc.
Au final, les antimaçons trouvent le mal absolu dans « les arrières-loges », c’est-à-dire la Maçonnerie des hauts grades. Ce thème était déjà formulé à la fin du XVIIIème siècle. Les « arrières-loges » étaient censées accomplir la vengeance templière contre le pouvoir royal et l’Église. A la fin du XIXème siècle, c’est le Martinisme qui est vu comme le véritable commanditaire occulte de la Maçonnerie. Martinisme et occultisme sont considérés comme des mouvements païens et gnostiques, injure suprême. Se greffe sur cette problématique, celle des « Supérieurs inconnus » qui dirigent en secret… Mais tout ceci a un revers. En effet, les antimaçons en viennent à penser qu’ils sont eux-mêmes infiltrés par ces forces occultes et les divers groupes se suspectent les uns les autres…
Après la Première guerre mondiale, l’âge d’or –pardonnez l'expression- de l’antimaçonnisme est révolu. Ce n’est pas à dire qu’il a disparu mais il change de visage. Son représentant principal est Mgr Jouin et sa Revue Internationale des Sociétés Secrètes qui disparaît en 1939. Le thème majeur devient le complot judéo-maçonnique et le combat contre le communisme. La politique de collaboration avec les nazis ne sera que l’application concrète de ces idées. Après la seconde guerre mondiale, l’antimaçonnisme sous cette forme radicale est condamné par la loi.
Voilà très brièvement résumé, le très intéressant livre de Michel Jarrige. L’auteur a aussi quelques pages sur l’attitude la Franc-maçonnerie face à ces attaques. On peut souvent la résumer à deux grandes positions : le silence ou l’incompréhension. Plus rarement la Franc-maçonnerie s’interroge sur sa responsabilité dans l’anti-maçonnisme. Ne serait-ce pas pourtant là une réflexion d’intérêt public maçonnique ?