Les Grands Textes de la Franc-Maçonnerie décryptés

Préface de Pierre Mollier, de Laurent Kupferman et Emmanuel Pierrat, First Editions - 2011

Le projet de ce livre : réunir des textes fondamentaux de la franc-maçonnerie (le Regius, le Manuscrit Cooke, les Constitutions d’Anderson) et des extraits d’œuvres littéraires à dimension maçonnique (les Mémoires de Casanova, le Voyage en Orient de Gérard de Nerval, La Montagne magique de Thomas Mann, etc.).

Chaque texte fait l’objet d’une présentation et d’un commentaire détaillés.

La préface de Pierre Mollier présente l’ouvrage de la manière suivante : pour lui cet ouvrage " permettra au profane curieux de mieux comprendre la franc-maçonnerie, au-delà des " marronniers " qui fleurissent régulièrement dans la presse magazine. Mais le livre sera aussi un outil de formation précieux pour les apprentis (…) nous avons la chance d’avoir quelques heures pour seconds surveillants Voltaire, Casanova, Mirabeau, Goethe ou encore Dumézil ! ". Il nous fait remarquer aussi que : " (…) la littérature, dont l’objet est de saisir la condition humaine dans toute sa complexité, peut nous aider à rendre compte de l’initiation maçonnique. ".

Comme le dit l’avant-propos, l’intérêt de ce livre est qu’il " rassemble des textes soit inédits, soit quasi inexploités, rédigés par des " grands noms " qui ont écrit, parfois publié au sein ou aux abords des loges. ". Les auteurs de cet anthologie ont eu accès à des archives jamais ouvertes – notamment celles du GO, dont il faut rappeler qu’elles ne sont de retour en France que depuis une quinzaine d’années après leur exil dû à leur saisie par la Gestapo puis par le KGB. A ceci s’ajoute des textes épars, publiés dans des revues ésotériques obscures, ou encore dans des œuvres complètes au sein desquelles est lis la lumière sur la spécificité maçonnique de certains passages.

Tous les écrits sont " contextualisés ". Chaque auteur est présenté dans un rappel biographique qui met en lumière ses rapports à son époque comme à la maçonnerie. Suivent l’extrait ou l’intégralité du texte puis un décryptage de celui-ci. En fin d’ouvrage, un glossaire reprend les principaux termes maçonniques. Certains textes ont été transcrits par les auteurs de l’ouvrage en français moderne.

On a ainsi :

Giacomo Casanova : initié par une loge de Lyon, Les Amis choisis, en 1750. Son texte, le seul dans son œuvre à parler ouvertement de la maçonnerie est un extrait de ses mémoires et porte sur le secret maçonnique (l’expérience individuelle et collective de ses membres).

Rudyard Kipling : initié en 1885 à la loge Hope and Perseverance à Lahore (Pakistan actuel), dans une obédience " régulière " et donc associée à la Grande Loge unie d’Angleterre qui pratique le rite émulation. Nous sont donnés à lire ses poèmes " If " et " La Loge mère ", son testament maçonnique et un dernier texte " Dans l’intérêt des frères ", texte qui a, entre autres, le mérite de décrire le rite anglais de style émulation.

Le Regius : 1390.

Le Manuscrit Cooke : tout début du XVe siècle.

Les Constitutions d’Anderson : 1723.

Walter Scott : initié en 1801 à Édimbourg, au sein de la loge Saint-David. Nous est donné à lire un extrait d’Ivanhoé (1819) même s’il s’écoule six siècles entre la fin de l’ordre du Temple et la création de l’ordre maçonnique et que rien ne permet de relier les Templiers à la franc-maçonnerie.

Choderlos de Laclos : initié en 1763 à Toul au sein de la loge " L’Union ", loge militaire de la garnison dans laquelle il est muté après avoir obtenu ses galons de lieutenant. Son féminisme, que l’on devine en creux dans " Les Liaisons dangereuses " s’exprime dans sa vie maçonnique : à l’occasion de l’inauguration d’une loge " d’adoption ", en 1777, il prononce une " planche " aux propos atypiques et résolument modernes, il est partisan d’une meilleure intégration des femmes dans l’obédience.

Alexandre Dumas : son père aurait été maçon. Les textes présentés ici sont des extraits de Joseph Balsamo dit " Cagliostro " de 1853 (2). Notons que Dumas prend ce qui l’arrange et met de côté tout ou partie des faits historiques, comme tout bon romancier, pour raconter la vie maçonnique de son héros. Comme le disent les auteurs " Tout y est : les complots, les réunions secrètes, les personnages influents, et même les caprices de diva. Tout sauf la réalité de la vie maçonnique, bien moins romanesque que celle imaginée par Dumas ".

Louis-Sébastien Mercier : initié à une date indéterminée, il est assurément membre de la loge des Neuf-Sœurs dès 1778. Dans son livre " Tableau de Paris " (1781-1788) il décrit entre autres les Martinistes. En réalité, au temps de Mercier, cette pratique concerne d’abord les " Elus Coëns ", ordre fondé par Martinès de Pasqually.

André Michel Ramsay : initié en 1730 à la loge Horn de Londres. Est donné à lire son célèbre Discours de 1736.

Oscar Wilde : initié en 1875 à la loge Apollo University n°357 à Oxford. Un cours texte : " Vera et les nihilistes " de 1883.

Jonathan Swift : initié à la loge Goat et the Foot of the Haymarket n°16 à Londres.

Un texte de 1724 qui est quelque peu à charge et qui comporte des éléments fantaisistes.

Guy de Maupassant : a failli être initié mais recule et renonce. Deux lettres, une de 1876 et une autre de 1882 témoignent de ce que pouvait être l’engagement maçonnique à cette époque.

Arthur Conan Doyle : initié à la loge Phoenix n°257 de Portsmouth en 1887. Un texte extrait de " La Vallée de la peur " donne une image curieuse de la maçonnerie, due probablement à la relation en dents de scie que Conan Doyle entretint avec la maçonnerie. De nombreux autres passages de l’œuvre de Conan Doyle comportent des allusions explicites à la franc-maçonnerie.

André Gide : n’est pas maçon mais publie dans La NRF en 1914 un récit drôle et surréaliste sur le sujet. Le livre donne un extrait de cet ouvrage : " Les Caves du Vatican " de 1914.

Gérard de Nerval : véritable état civil : Gérard Labrunie, n’a jamais été initié. Il a écrit une des plus belles pages sur la légende d’Hiram, ce texte est extrait du " Voyage en Orient " de 1850.

Johann Wolgang von Goethe : initié le 23 juin 1780 au sein de la loge Amalia zur Drei Rosen. Il a été choisi un poème maçonnique comme texte : " Selige Sehnsucht " (Nostalgie bienheureuse) 1815 qui fait illusion à l’initiation maçonnique dans laquelle Goethe trouve la formule : " Meurs et deviens ". Est donné aussi un extrait des " Affinités électives " 1809 dans lequel Goethe propose un modèle de langage symbolique, véritable langage commun permettant à tous les maçons d’appréhender la perception du réel des autres frères, et ainsi de dépasser l’incompréhension qui pourrait naître des différences. Un autre texte de 1809 publié initialement en 1795, extrait du conte symbolique " Das Märche "" " Le Serpent vert ", illustre plus particulièrement la méthode maçonnique.

Voltaire : initié deux mois avant sa mort en 1778 dans la loge des Neuf-Sœurs. Un extrait de son Dictionnaire philosophique à l’entrée " Initiation " 1764. Puis un témoignage sous la forme de deux Planches tracées, sans date qui relate son court parcours maçonnique.

Wolfgang Amadeus Mozart : initié à la loge La Bienfaisance, à l’orient de Vienne, le 14 décembre 1784. Des extraits de " La Flûte enchantée " 1791 dont le librettiste, producteur et un des interprètes est Emanuel Schikaneder, initié le 14 juillet 1789. Il n’est pas besoin de rappeler que cet opéra symbolise le mieux le combat de la lumière contre les ténèbres, et le triomphe de l’amour sur les illusions trompeuses.

Thomas Mann : dans un texte extrait de " La Montagne magique " de 1924 s’y affrontent diverses maçonneries : la déiste, la voie primitive, la sociétale, la voie substituée.

Léon Tolstoï : ne sera jamais initié mais il aimait la maçonnerie, il se considérait inconsciemment comme maçon. Sont donnés trois extraits de " La Guerre et la Paix " 1869 qui résument le parcours du comte Pierre Kirillovitch Bezoukhov. Tolstoï met aussi en lumière les différentes voies qui sont sous-jacentes dans la pratique maçonnique : la " voie royale " et la " voie substituée ".

Honoré Gabriel de Mirabeau : on ne sait quand et où Mirabeau a été initié mais le texte proposé a été rédigé en tant que membre des Illuminés de Bavière, sous le pseudonyme d’ " Arcesilas ", il a été affilié à la loge des Neuf-Sœurs le 22 décembre 1783. Ce texte de 1776 est d’un grand intérêt car il pose des principes qui deviendront, avec le temps, ceux de la maçonnerie dite " libérale ", c’est-à-dire une maçonnerie destinée à combattre le despotisme, ne s’interdisant pas les sujets sociétaux, tout en contribuant à l’émancipation civile, économique et religieuse de ses membres. Certains principes fondamentaux qui aboutiront à la réforme du Grand Orient en 1876, abandonnant la référence obligatoire au GADLU sont en germe dans ce texte.

Jules Romains : jamais initié mais a écrit certaines pages parmi les " plus inspirées " sur la maçonnerie. Le texte proposé est issu de la fresque " Les Hommes de bonne volonté " de 1932-1946.

Alphonse de Lamartine : n’a jamais été maçon mais a été entouré de frères et une forte amitié lia Lamartine au frère abbé Dumont, son précepteur, initié en 1812 à la loge La Parfaite Union à Mâcon. Le texte proposé est la réponse de Lamartine à une délégation de frères venu le voir à l’hôtel de ville de Paris, siège du gouvernement provisoire en 1848 en sa qualité de ministre des Affaires étrangères. Un autre texte est proposé, c’est celui que Lamartine fit aux loges françaises et étrangères qui s’étaient réunies pour lui offrir une assistance matérielle alors qu’il était tombé dans la ruine.

Edmond About : auteur de " L’Homme à l’oreille cassée ", initié le 7 mars 1862 à la loge Saint-Jean-de-Jérusalem. Il s’engage pour une maçonnerie moins ésotérique et plus tournée vers les questions de société ; il s’attaque aux hauts grades de la maçonnerie, persistance selon lui de la vanité humaine dans l’ordre. Extraits de ses " Causeries " de 1866.

Georges Dumézil : initié à la loge Le Portique de la Grande Loge de France en 1936. Le texte proposé est un extrait de " Enseignement de liberté " in " Faut-il brûler Dumézil ? ", Flammarion, 1992.

Emile Littré : initié à la loge La Clémente Amitié le 8 juillet avec Jules Ferry et en présence de Léon Gambetta, Arago, Louis Blanc, Edmond About, Jules Simon. Est donnée la planche tracée correspondant au testament rédigé dans le cabinet de réflexion. Texte qui ouvre la voie à la transformation du GODF en une obédience libérale.

Pierre Dac : initié le 18 mars 1946 à la loge Les Compagnons ardents de la Grande Loge de France, il ne restera en maçonnerie que jusqu’en 1952. Il a produit le fameux rituel " Le Rituel de la grande loge des voyous " dont est donné un extrait : l’ouverture et la fermeture des travaux au grade d’apprenti.

Bref un livre très agréable, sans prétention, que l’on peut offrir autant à un profane qu’à un initié, plutôt un apprenti.

Ces auteurs ont aussi produit " Paris des francs-maçons " aux éditions Le Cherche Midi, 2009