Le Parfait Maçon
étude de Bernard Dat
parue dans le n° 161 de Renaissance Traditionnelle
janvier 2011
Depuis une cinquantaine d’années et dans le sillage de l’historiographie maçonnique anglaise, l’histoire de la franc-maçonnerie française comme institution est assez bien connue. Pour preuve, les travaux de Pierre Chevalier, Histoire de la franc-maçonnerie française, 1974, ceux d’André Combes et consorts, le tout finalisé dans le Que Sais-Je ? de Roger Dachez, Histoire de la franc-maçonnerie française, 2003.
Mais à côté de cette histoire évènementielle, l’histoire culturelle de l’Ordre, l’histoire des rituels, bref l’histoire de la tradition maçonnique a encore de beaux jours devant elle. Dans ce domaine, on doit signaler évidemment les travaux novateurs –il y a déjà près de 50 ans !- de René Désaguliers, Les Pierres de la Franc-maçonnerie, Les deux grandes colonnes de la Franc-maçonnerie et Les Trois grands piliers de la franc-maçonnerie(3ème édition, 2011), 3 ouvrages fondamentaux à conseiller à tous plutôt que les innombrables et laborieux livres de symbolique maçonnique. A signaler également cette intéressante collection « Que Sais-je ? » consacrée aux rites maçonniques. A signaler enfin des travaux parus dans diverses revues comme l’étude de Pierre Mollier sur le grade de Chevalier du Soleil publiée, il y aura bientôt 20 ans dansRenaissance Traditionnelle. Et justement, dans son dernier numéro cette revue publie une remarque étude de Bernard Dat sur Le Parfait Maçon.
Le Parfait Maçon est une divulgation des usages et rites maçonniques parue en 1744 dans ce qu’on appelle le « train de divulgations » qui court en France de 1737 à 1751. Mais, avec une autre divulgation parue la même année, La franc-maçonne ou La franche-maçonne, cette divulgation est considérée comme atypique en ce qu’elle diffère notablement de toutes les autres publiées à cette époque.
En quoi ? D’abord par les thèmes symboliques qui servent de trame aux grades d’Apprenti, Compagnon et Maître mais surtout dans le fait qu’elle est la première à dévoiler un embryon de rituel d’un 4èmegrade dit Ecossais. C’est ainsi que Bernard Dat sous-titre son travail : «une source méconnue des hauts grades».
L’étude de Bernard Dat est de bonne méthode et il est bon de rappeler ces évidences.
1. Notre auteur dresse d’abord l’état de la bibliographie sur le sujet.
2. Il décrit ensuite les 4 grades du Parfait Maçon.
3. Il recherche les sources de ces grades.
a) D’abord les sources livresques : Il en découvre principalement 2 : L’Histoire des Juifs de Flavius Josèphe et L’Histoire des Francs-maçons de La Tierce (1742), adaptation des Constitutions de 1723. Que l’oeuvre de Flavius Josèphe ait joué un si grand rôle dans l’élaboration de ces grades, ceci est cohérent avec ce que nous savons de la diffusion de cet ouvrage à cette époque. Dans son étude sur Les bibliothèques privées à Paris au milieu du XVIIIesiècle, Michel Marion note que l’ouvrage le plus fréquemment cité est bien sûr la Bible bientôt suivi des œuvres de Josèphe.
[Paris, Bibliothèque nationale, 1978. Sur les 100 ouvrages le plus fréquemment cités dans les inventaires, la Bible apparaît en premier et L’Histoire des Juifs en 14èmeposition, pp. 159-161.] Nombre d'auteurs de rituels maçonniques, on le sait, concevaient un grade comme un commentaire et une déambultation dans l'histoire biblique
b) Ensuite les sources iconographiques qui relèvent des mêmes ouvrages, édition de 1738 pour L’Histoire des Juifs avec ses gravures.
4. Bernard Dat étudie ensuite « quelques expressions et mots essentiels » de ces rituels comme « obéir, travailler et se taire », les mots de reconnaissance, étude qui « donne des clés majeures pour la compréhension du (…) rituel, sa nature (…) et son objectif spirituel ». Sa conclusion est simple : nous sommes en présence d’« un rituel profondément chrétien ». Faut-il s’en étonner dans un pays où le catholicisme gallican est religion d’Etat ?
5. Bernard Dat conclut son étude sur le fait que Le Parfait Maçon est une « source de hauts grades » et en montre sa descendance dans les grades de « Maître Ecossais », « L’Ecossais Napolitain », « Le Maître Parfait Ecossais », le « Grand Architecte » et le « Chevalier de l’Etoile d’Orient de Jérusalem », ainsi que les rituels écossais du Danemark.
6. En annexe sont publiés Le Parfait Maçon et les 3 grades des chevaliers de l’Etoile d’Orient de Jérusalem. La publication de tels textes est d’utilité maçonnique car il donne accès, pour les frères intéressés, aux sources mêmes de la tradition maçonnique. Se confronter à ces textes, c’est l’essence même de la méthode maçonnique.
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Dans l’introduction du Parfait Maçon, l’auteur explique les raisons de la publication de ce texte. Celui-ci aurait été découvert fortuitement de la manière suivante : un homme visite son frère de sang qui est Maçon et il lui demande de lui expliquer ce que c’est que la Franc-maçonnerie. Et d’abord, quel est son but ? C’est celui d’unir les hommes dans l’harmonie lui répond-il. N’est-elle pas le « centre de l’union » comme le stipule le titre 1er des Constitutions de 1723 ? Il ajoute que la Maçonnerie est une bonne chose pour le pays dans lequel elle se trouve –en l’occurrence la France- et qu’à tout le moins, si on ne l’apprécie pas, on doit la considérer alors comme un passe-temps tolérable, sans grande importance ni danger. Or, peu de temps après cette conversation, le Franc-maçon meurt et l’auteur du texte hérite de ses effets. Il entre ainsi en possession de livres et de matériel de loges. Que dit-il avoir trouvé ?
- 4 tableaux roulés avec des dessins et des éléments d’architecture qui correspondent à 4 grades.
- une réserve de 22 tabliers et 5 rubans bleus. Ces habillements restaient donc dans la Loge ainsi que le montre les procès-verbaux de police de l’époque.
- un ange, etc.
En 1744, il y a déjà eu la publication de plusieurs divulgations. Contrairement à elles Le Parfait Maçon se présente comme la révélation des véritables secrets des maçons, jugeant que les autres ne sont que des tromperies. Le fait est que même s’il a un caractère atypique, ce texte a tout de même une forme très vraisemblable.
Quant au fait que la FM est un « sans (…) danger », c’est peut-être une manière de faire écho aux deux vagues de tracasseries de la Maçonnerie par la police, la première en 1737/8 et la seconde justement en 1744/5. Certains ont même pensé que le comte de Clermont lui-même, Grand Maître depuis 1743, ne serait pas étranger à cette deuxième vague dans la mesure où il aurait voulu régénérer l’Ordre en se débarrassant d’éléments dévoyés.
Les grades :
1. le grade d’apprenti.
La 1ère loge s’est tenue au paradis terrestre où Dieu a donné à Adam les premières leçons d’architecture avant la chute afin qu’il puisse –si besoin en serait- se préparer à s’en servir pour une « remontée », une « réintégration ». Adam a ensuite rédigé le 1erlivre de Maçonnerie. Sur tout cela, on peut relire le début des Constitutions de 1723. On explique ensuite les règles de constitutions d’une loge, le nombre de frères qui convient –au moins 9 mais ce nombre varie selon les textes- l’illumination de la Loge. On nous dit ensuite que le Vénérable Maître est décoré d’une équerre et d’une truelle d’or (comme on peut le voir sur la célèbre gravure de 1735) et on décrit les conditions de réception d’un candidat.
Il y a des voyages.
L’obligation, et c’est intéressant, est une simple promesse et non un serment. Rappelons qu’en 1738 avait été fulminée la 1ère bulle d’excommunication papale reposant, entre autre, sur la condamnation du serment maçonnique, et que l’antimaçonnisme en général s’était déjà emparé de cette question. Bernard Dat y voit un signe que ce texte est plus spécialement destiné à des frères catholiques et qu’il dévoilerait ainsi une maçonnerie de type stuartiste. Plus généralement, il fallait s’attendre à ce que, dans un pays catholique, la franc-maçonnerie d’origine anglaise protestante, plutôt fondée sur l’Ancien testament, se « christianise » en France au cours du XVIIIème siècle. Cette « christianisation » culminera dans le grade de Rose-Croix.
Le Vénérable Maître applique alors la truelle –sceau de la discrétion- sur la bouche du nouveau reçu. Ce geste se retrouve dans la Maçonnerie d’adoption. On donne enfin au candidat un tablier, deux paires de gants, les signes et les mots avant de lui lire le catéchisme.
2. Le tableau de loge du 2ème grade, comme celui du 1er, fait référence aux Anciens Devoirs. Il représente l’arche de Noé et la tour de Babel.
3. Pour la réception au grade de Maître, il y a 2 tableaux. Le premier représente le Tabernacle au désert et le second le Temple de Salomon. Le récit fait au candidat porte sur le Temple de Salomon : Salomon, Hiram et Adonhiram –ses deux collaborateurs- se réunissent pour conférer dans le Temple. Il y a ici l’idée d’une spéculation sur l’architecture intérieure du Temple, les salles qui s’y trouvent et leur emploi.
4. Au grade de Maître Écossais, on révèle le secret des Maîtres Maçons. On trouve l’expression « Maître ordinaire » pour désigner les frères du 3ème grade. Les Écossais ont la volonté de reconstruire le Temple de Salomon et pas seulement de rester dans ses ruines d’où l’apparition des personnages de Zorobabel, Cyrus et Darius. Dans le catéchisme, il est précisé que les Écossais portent l’épée et la truelle.
La divulgation du Parfait Maçon est rédigée d’une manière relativement correcte par rapport aux divulgations connues à cette époque. Il semble qu’on veuille insister sur le fait que la Maçonnerie n’est pas ce qu’on dit d’elle, autrement dit que les divulgations précédentes sont plus dangereuses et néfastes pour l’Ordre qu’utiles. Il y a donc une intention de défendre la Maçonnerie et ce, d’un double façon : en la protégeant des attaquent venant de l’extérieur et en la régénérant de l’intérieur.
1. A usage externe, ces textes veulent jeter le trouble dans l’esprit du public relativement à la vague de publications faites de 1737 à 1744.
2. A usage interne, on veut adresser aux Maçons le message suivant :
a) la Maçonnerie est dégénérée, le recrutement est trop laxiste et les frères trop ignorants ;
b) heureusement, les Frères Écossais sont les conservateurs de la pureté de la Franc-Maçonnerie et ils peuvent la régénérer sous la direction du nouveau Grand Maître, le comte de Clermont.
Par ailleurs, Le Parfait maçon et la Franc-maçonne ont servi de base à l’élaboration, vers 1760, de la Maçonnerie d’adoption. 2 gravures donnent les thèmes de cette Maçonnerie.
Enfin, la truelle qui décore le Vénérable Maître est une référence directe à la Maçonnerie anglaise et irlandaise. Elle figure dans le sceau de la Grande Loge d’Irlande avec la devise : « Cemented with love ». Elle a rapidement été dévaluée dans la Maçonnerie française et ne figure pas dans les autres divulgations disponibles à cette époque. Cela indique donc que ces divulgations atypiques s’inspirent d’autres sources et nous renseignent sur une autre maçonnerie de ce temps-là.
Et surtout, ce texte donne une description succincte d’un grade « écossais » encore à peine évoqué à cette époque. Il développe le thème de la reconstruction du Temple, thème que l’on retrouvera dès 1748, dans le grade de Chevalier d’Orient.