Ernst et Falk

Causeries pour Francs-Maçons

Gotthold Ephraim LESSING (1729-1781)

(traduction de Lionel Duvoy) (Dervy, Petite bibliothèque de la franc-maçonnerie, 120 pp., 2011)

Biographie succinte

Originaire de Lusace (Saxe). Père pasteur Luthérien.

Premier grand critique littéraire et fondateur de la critique théâtrale en Allemagne.

Meilleure plume de son pays au service de la philosophie des Lumières. C’est un " moderne ", proche de Diderot. Historien des Arts, des Religions, quelquefois théologien.

Sa vie durant il allait tenter de vivre de sa plume sans dépendre de la faveur des princes. Il a écrit de nombreuses pièces de théâtres : le Libre Penseur, les Juifs, Minna von Bernheim, Emilia Galotti, Nathan le Sage... C’est un homme reconnu de son temps. Goethe fait l’éloge de son théâtre.

Il est à la recherche d’une foi fondée en raison, d’une révélation qui peut soutenir la critique de l’historien. Il publie un ouvrage : " Le Christianisme de la Raison ", dans lequel Dieu échappe à toute théologie et il prétend que c’est la pratique du bien qui fera le bon chrétien.

Deux ans avant sa mort il exprime pleinement sa philosophie morale et religieuse dans " Les dialogues maçonniques " (1778) et dans " L’éducation du genre humain " (1780)

Depuis 1770 il est bibliothécaire à Wolfenbuttel au service du Duc Karl Wilhelm Ferdinand von Brunswick (1735-1806), Grand Maître de la Stricte Observance Templière. Son neveu, Ferdinand de Brunswick, également franc-maçon (1721-1792) devient en 1771 Grand Maître de toutes les loges écossaises du Régime. Lessing est initié en 1771 dans la Loge Aux trois roses d’Or (Hambourg) qui dépend de la Grande Loge provinciale des FM d’Allemagne fondée en 1770 par von Zinnendorf. C’est une période troublée pour les maçons allemands, qui subissent deux influences : celle des Illuminés de Bavière (Weishaupt), celle de la Stricte Observance Templière (Hund) qui débouchera sur le Rite Ecossais Rectifié en 1782 au convent de Wilhemsbad.

Les causeries pour Francs-maçons

Edition établie et traduite par Lionel Duvoy. Dans l’introduction il est toutefois regrettable qu’il considère que " La théurgie, l’alchimie et la kabbale soient au cœur du Rite Ecossais Rectifié ", ce qui prouve une méconnaissance du rite et une confusion dans les sources.

Les causeries se décomposent en deux ensembles : les trois premières (1778), adressées directement à Ferdinand von Brunswick, sont un dialogue entre un Franc-maçon, Falk et un profane, Ernst. Les deux dernières (1780) sont entre les deux mêmes interlocuteurs mais entre temps Ernst a reçu l’initiation maçonnique. Elles sont construites de façon logique et raisonnée. Elles constituent un témoignage des questions qui se posaient à propos de la Franc-maçonnerie, très en vogue à l’époque. On y voit défiler sous forme de dialogues les grands thèmes avec des réponses et des critiques apportées par un esprit éclairé, lui-même franc-maçon : son essence, son origine, ses buts, la religion, son secret, ses mystères, ses idéaux (universalisme, égalité entre les hommes), ce que les hommes en font.

La première causerie cherche à répondre à la question, Qu’est-elle ? Qu’elle est son essence ?, sans pour autant dévoiler ce qui ne peut l’être à un profane :

La Franc-maçonnerie a toujours existé, car c’est une nécessité ancrée dans la nature humaine et la société civile (ce qui pose la question de son ancienneté).

Le secret : " La plupart de ceux qui sont admis ne savent pas dire ce que c’est et ceux qui le savent ne peuvent le dire ". Les Francs-Maçons ne se montrent que par des actes ostensibles qui frappent le regard du peuple (ad extra), mais ad intra " leurs véritables actions sont leurs secret ", ils ne peuvent le dire. Cependant " ils ont fait tout le bien qui doit advenir encore dans le monde ", si bien que la conclusion de la première causerie se termine par une énigme : " De bonnes actions qui visent à rendre les bonnes actions accessoires ".

La seconde causerie affirme qu’il y a des " vérités qui doivent être passées sous silence " et que " le sage ne peut pas dire ce qu’il préfère taire ". Elle engage une réflexion sur le rôle et la place des Etats et sur l’organisation du monde. Les Etats ne sont que des moyens pour faciliter la vie sociale des hommes, mais ce ne sont que des moyens humains faillibles, distincts des moyens infaillibles de la divinité. Les lois sont limitées aux bornes des Etats. Ces derniers sont tous nés de l’invention humaine et ne peuvent faire autrement qu’être déficients et entraîner des divisions civiles et religieuses. Les différents Etats entraînent différentes constitutions qui elles-mêmes entraînent différentes religions. De même la société est divisée en différentes classes, avec tous les maux qui en découlent. En conclusion toute organisation humaine, toute vie civile, conduit à la séparation des hommes. Il faut donc qu’il existe des hommes qui obéissent à des lois supérieures, qui vivent au-dessus des préjugés et qui soient au-dessus des classes, et " si ces hommes étaient les francs-maçons ", qui se " donnaient pour tâche de resserrer le plus étroitement possible ces liens disjoints " ?

La troisième causerie aborde la question, comment peut-on prouver que les Francs-Maçons s’attaquent aux maux qui frappent les hommes ?, non pas tant les maux de la société civile, mais ceux plus élevés qui accablent l’homme même le plus heureux et qu’il faut apprendre à connaître, " qui semblent être les objections les plus accablantes, les plus insolubles contre la Providence et la Vertu " ? La réponse est que les francs-maçons accueillent dans " leur Ordre, tous les hommes dignes d’en faire partie, sans distinction de nationalité, de religion ou de statut social ", afin de dépasser les différentes ségrégations sociales et d’y apporter des remèdes, au-delà des nationalités, des doctrines philosophiques, religieuses ou scientifiques.

Les quatrième et cinquième causeries montrent un certain désenchantement. Comment une organisation universaliste peut-elle engendrer autant de clans idéologiques : alchimistes, templiers, ceux qui invoquent les esprits ?, tel est le paradoxe. Ces deux dernières causeries n’étaient pas destinées à être rendues publiques et les noms des personnages en cause ne sont pas divulgués.

Dans la quatrième causerie, Falk répond que, malgré toutes ces erreurs, peut se dégager " la destination du vrai chemin ", et reconnaît malgré tout dans ces rêveries une aspiration à la vérité. Le mystère de la franc-maçonnerie tient dans ce que " le franc-maçon ne parvient pas à faire monter jusqu’à ses lèvres, même s’il se peut qu’il le veuille ". Il se lance dans une critique en règle de l’ascendance templière en déclarant que c’est une supercherie : Alchimie, monde des esprits, Templarisme, tout cela n’est qu’enfantillage. Seule compte la loi fondamentale de l’ordre : l’égalité entre ses membres pour le bien de l’humanité. Il dénonce le paradoxe de la non admission des non chrétiens dans les loges. Enfin les Loges se comportent aujourd’hui à l’égard de la franc-maçonnerie comme l’Eglise à l’égard de la foi, en s’attachant plus aux biens matériels que ce à quoi elles sont destinées. Il termine par cette question : " Crois-tu que ce qui fait la franc-maçonnerie s’est toujours appelé " franc-maçonnerie " ? ".

Au-delà de ces contingences, dans la cinquième causerie Falk affirme que " le franc-maçon attend patiemment le lever du soleil et laisse brûler les lumières aussi longtemps qu’elles le veulent et le peuvent ". Il reprend l’affirmation selon laquelle la franc-maçonnerie agit dans un esprit commun et a toujours existé. Elle existe depuis que la société civile existe car elles sont inséparables : " Là où existait la société civile se trouvait, en tous lieux, la franc-maçonnerie et inversement ". Elle est en quelque sorte le marqueur d’un Etat sain. Mais elle a dû s’adapter et changer de nom au cours des circonstances et des contraintes de la société civile. Ainsi le nom même de franc-maçon n’existait dans aucun livre avant le début de ce siècle. Tous les documents invoqués qui cherchent à prouver le contraire sont des faux, des " forgery " dit-il. Pourtant elle doit avoir une origine. Lessing propose sa propre explication en jouant sur la consonance du mot " Massonie ", " Masony " en Anglais qui vient de " Mase ", la table, la planche pour les anglo-saxons et qui est d’origine allemande. Il remonte ainsi jusqu’à la Table Ronde.