Franc-maçonnerie et sociabilité,
les métamorphoses du lien social, XVIIIème-XIXème siècle,
par Pierre-Yves BEAUREPAIRE. nouvelle édition 2013 – Editions maçonniques de France.
Si l’histoire de la franc-maçonnerie a connu ces dernières décennies des progrès notables, notamment grâce à d’importants pavés d’une érudition impressionnante, elle le doit aussi parfois à des ouvrages dont l’esprit synthétique est remarquable. C’est à cette dernière catégorie qu’appartient ce livre. Pierre-Yves Beaurepaire y rapporte un condensé de ses nombreux travaux de recherche d’histoire sociale pour la période 1760-1830, recherches qu’il a entamées depuis 1991.
Si le siècle des Lumières n’invente pas la sociabilité, il innove largement mais sans rupture avec le lien social pratiqué sous l’Ancien Régime : convivialité et nouveaux modes de sociabilité volontaire génèrent de nouvelles structures d’accueil dont l’une des plus remarquables est bien la franc-maçonnerie. Pierre-Yves Beaurepaire étudie les rapports de cette confrérie avec d’autres structures en mutation et avec l’espace public dont il est indissociable, mettant en lumière les règles qui régissent ces rapports sociaux. Cette remise en perspective permet alors de mieux comprendre et d’analyser l’évolution de ce mode de relations ainsi que les raisons de leur succès remarquable au XVIIIème siècle, d’abord en France et en Europe continentale, avant d’envisager un sujet qui mériterait d’être approfondi : celui des rapports entre les deux rives de l’Atlantique ainsi que les moteurs de la diffusion et des interactions de l’Art Royal avec les commerçants du Nouveau Monde.
C’est ainsi qu’il considère successivement la parenté structurelle, les analogies formelles, les complémentarités et les relations du monde profane de la franc-maçonnerie avec les académies, dont elle partage le conservatisme social et aristocratique, les confréries de pénitents, déjà connues en particulier par les travaux de Maurice Agulhon, qui perdent à la fois en influence par le caractère désuet de leurs processions et par l’élargissement de leur recrutement qui en écarte les élites d’alors. Il complète ces études par ses propres travaux sur les nobles jeux des chevaliers d’arc, d’arbalète et d’arquebuse (et le golf) montrant à la fois leur parenté structurelle et leurs nombreuses influences réciproques, en particulier par l’esprit chevaleresque qui y règne.
Deux chapitres ont particulièrement retenus mon attention. En premier lieu, celui des relations maçonniques à travers l’espace atlantique, sujet souvent sous-estimé, voire ignoré (et qui mériterait d’être complété par une étude de l’espace méditerranéen). A travers une sociabilité riche et variée s’animent en effet des réseaux d’échanges atlantiques à partir des principaux ports de commerce. Ces réseaux maçonniques enchevêtrés avec les réseaux familiaux, confessionnels et professionnels, sont en interaction dynamique avec ceux de l’Europe continentale. Leurs échanges seront constructifs, la création du Rite Ecossais Ancien et Accepté en étant l’un des résultats des plus spectaculaires.
En second, le chapitre consacré au regard porté par les représentants du pouvoir, avec lesquels les loges multiplient les gages de fidélité afin d’éviter les sources d’inquiétude, sans néanmoins recevoir de reconnaissance formelle, restant ainsi en lisière de la sociabilité patentée. Cette pédagogie de l’innocence que les francs-maçons ont adopté dès l’origine, et avec constance, a porté ses fruits permettant à l’Ordre de traverser l’ensemble du XVIIIème siècle jusqu’à la Restauration quitte à renouveler les catégories sociales qui la composent (avec l’arrivée massive d’entrepreneurs et de commerçants) en amorçant son évolution vers la politique par une laïcisation de l’engagement philanthropique vers un engagement libéral et laïc.
Au-delà de son intérêt purement historique, c’est un ouvrage qui interroge sur le devenir de notre Ordre dans un contexte actuel ou les francs-maçons n’ont jamais été aussi nombreux et les aspirations de la franc-maçonnerie aussi diverses. La franc-maçonnerie n’est jamais que la somme des maçons qui la composent et l’espace ou s’expriment librement les nouvelles aspirations sociales…