Les Promesses de l'Aube

Contre la guerre des obédiences, pour la franc-maçonnerie de la fraternité

de Michel Barat, Alain Bauer, Roger Dachez

paru chez Dervy, en septembre 2013 ; 96 pages. 10,00€

Pour que cette présentation soit la plus objective possible, je dois préciser d'une part que je suis Belge, et donc pas du tout au fait de cette guerre, principalement franco-française, et que d'autre part, je suis toute jeune en maçonnerie. Le point de vue du texte ci-dessous sera donc celui du Nord.

Les auteurs expliquent le titre : nous venons d'assister ces dernières années au « Crépuscule des Lumières », prise de conscience que l'ouverture au monde ne peut plus se faire sur le registre de la domination. Ils espèrent que ce crépuscule sera la promesse d'une aube nouvelle renaissant des cendres d'une forme d'obscurantisme contemporain (p. 13).

Tout comme le petit opuscule de Stéphane Hessel, « Indignez-vous ! », « Les promesses de l'aube » veut lancer un vibrant appel à la révolte symbolique, pacifique, fraternelle, pour une franc-Maçonnerie qui retrouve ses origines, ses valeurs, ses traditions. Et surtout sa Fraternité (p. 15).Tant il est vrai que les institutions ne secrètent jamaisou très rarementleur propre réforme (p. 90).

On peut être déçu par la guerre des obédiences, quand, en entrant en maçonnerie, idéaliste et ignorant, on a pensé ou du moins espéré, comme le disent les auteurs, qu'aucune structure maçonnique ne portait à elle seule l'idéal maçonnique, mais que chacune l'exprimait (p. 10). Ce qui fait l'intérêt de ce plaidoyer pour la fraternité maçonnique est sans doute que la guerre des obédiences y est resituée dans son contexte historique et géopolitique.

Les auteurs décèlent trois crises dans la maçonnerie actuelle, la crise de la régularité, la crise des obédiences, et la crise du contenu.

La régularité hérisse certains maçons, parce qu'elle ferait référence à une règle monastique, mais au départ, c'est une notion purement administrative : pour être en règle, il suffit d'être en ordre sur le plan administratif, financier et moral. Cela suffit pour faire un bon Maçon. De la même manière, au XVIIIe siècle, une Loge est régulière quand elle se soumet à une Grande Loge, et qu'elle paie ses capitations. La question de la régularité est principalement une affaire de préséance et de diplomatie entre Loges des différents États. Il n'y a d'ailleurs jamais eu de relations officielles entre les Grandes Loges Française et Anglaise – et la rivalité séculaire entre les deux États n'y est peut-être pas étrangère.

La régularité est une condition sine qua non de la reconnaissance, qui a fait l'objet d'un long conflit au Royaume Uni, entre les « Moderns » et les « Antients ». L'enjeu de cette rivalité était la recherche de la légitimité dans la tradition ancienne, revendiquée par les « Antients », obédience récente, contre les « Moderns », fondée auparavant. Cette querelle a été réglée par la fusion des deux courants au sein de la GLUA, en 1813. Pour être reconnue par la GLUA, il faut qu'une loge soit régulière, et qu'elle respecte quelques principes de base.

Au XVIIIe siècle, la paix régnait en Angleterre, monarchie parlementaire où la tolérance religieuse allait de soi (mais pas envers les catholiques ni les athées). Dans ce pays où le principal dignitaire religieux était le Roi, et où un de ses proches était habituellement le Grand Maître, faire référence à Dieu et utiliser la Bible comme Volume de la Loi Sacrée allait de soi. Lorsque l'empire britannique s'est développé, puis lorsqu'il s'est dissout suite à la décolonisation, la Grande Loge anglaise a fait quelques efforts pour universaliser les dénominations des grades, et celle de l'Être Suprême, mais pas pour laïciser ces appellations. Pour le reste, elle est totalement indifférente à une Maçonnerie qui ne serait pas celle qu'elle pratique elle-même. La notion de reconnaissance entre Loges doit être située dans ce contexte.

Or, la Maçonnerie française s'est développée dans un environnement totalement différent. L'Église catholique, travaillant main dans la main avec la Monarchie, a toujours défendu un État régressif et répressif. Dans ce contexte, la Loge était le seul endroit où une certaine liberté de pensée et de parole pouvait s'exercer. C'est ainsi que s'est développé le courant athée, voire anticlérical, dans les Loges françaises. De là ont découlé les problèmes de régularité et de reconnaissance entre Loges françaises et anglaises, qui se prolongent encore aujourd'hui, avec la violence que l'on sait.

La seconde crise actuelle de la Maçonnerie française est la crise des obédiences. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, elles se sont multipliées à l'envie, en s'appuyant sur des appareils institutionnels par trop autoritaires, opaques, dans lesquels les Francs-maçons « de base » ne se reconnaissent pas toujours. Or, une structure légère est possible, et existe même, dans la Grande Loge d'Écosse par exemple.

Enfin, il y a en France une forte opposition entre la Maçonnerie dite Sociétale et la Maçonnerie dite Spirituelle. C'est la crise du contenu. Cette opposition est issue elle aussi de l'histoire. Alors que la Maçonnerie anglo-saxonne a toujours eu pour objectif de faire des hommes meilleurs, sans se préoccuper ni de la spiritualité, ni de la société, la Franc-Maçonnerie française a été l'un des creusets où s'est forgée la France moderne (p. 79). Mais de nos jours, il y a de la place pour laisser ces deux courants coexister pacifiquement, dans le Temple comme au dehors.

En conclusion, les auteurs proposent que chacun se concentre avec sérieux sur ce qui lui plaît dans une vaste tradition maçonnique, sans exiger que tous s'y conforment, et en restant curieux à l'égard de ce qu'il néglige (p. 83). Ils conseillent que les obédiences retournent à la légèreté administrative, qu'elles reconnaissent toutes les loges, que chacun soit accepté en tant que visiteur, accueilli et respecté dans les ateliers masculins, féminins ou mixtes, et que le contenu de nos travaux soit libre et pluriel.

Devant les multiples réactions suscitées par ce livre, Alain Bauer et Roger Dachez en présentent une suite inédite sur le blog de ce dernier, « Pierres vivantes ». Elle est consultable à l'adresse ci-dessous :

http://pierresvivantes.hautetfort.com/archive/2013/10/02/les-promesses-de-l-aube-une-suite-inedite-5186578.html

Hannah, 3 ans

Annexe : Présentation des divers chapitres

« Avant-propos » & « Introduction » (pages 7 à 17)

« La crise de la régularité » (pp. 19 à 55)

La franc-maçonnerie a toujours suscité du mystère et des fantasmes, aussi bien dans sa patrie d’origine, la Grande-Bretagne, que dans son pays d’adoption par excellence que fut la France.

Il existe tant de distance entre les relations fraternelles qui s’établissent sur le terrain, entre les sœurs et les frères de tous horizons, d’une part, et, d’autre part, les communiqués vengeurs et les petites phrases assassines que leurs Grands Maîtres s’échangent…

- « In good standing… » Cela peut se traduire simplement par « être en règle », à la fois administrativement, financièrement et moralement…

- « À la recherche de la régularité »

- « Les relations avec les autres pays »

- « Le tournant de 1878 »

- « Les Basic Principles de 1929 »

- « Les contradictions internes de la régularité »

- « La régularité et la franc-maçonnerie française : une longue indifférence »

- « l’heure du choix… »

« La crise obédientielle » (pp. 57 à 76)

- « Pourquoi des obédiences ? »

- « L’inflation institutionnelle de l’après-guerre »

- « L’éclaircie de 2003 : les leçons d’une année prodigieuse »

- « Le cas exemplaire de la GLNF : la fin d’un pseudo-modèle obédientiel ? »

« La crise du contenu » (pp. 77 à 86)

- « "Que venez-vous faire ici ?" : retour sur les sources intellectuelles de la franc-maçonnerie »

- « Au-delà du "sociétal" et du "spirituel" »

- « La crise du recrutement : trop ou trop mal ? »

« La Quelques repères sur les voies du renouveau » (pp. 87 à 91)

1. Vers des obédiences « light » : la fin de la bureaucratie maçonnique.

2. Mettre un terme à l’hypocrisie maçonnique.

3. Une maçonnerie ni politique, ni mystique, ni sectaire, ni commémorative.

4. Pour une « insurrection initiatique »

Références :

ISBN 979-1-242-0007-1 (dans le livre)

Ou 978-1024200072 (sur www.amazon.fr)