Religio Duplex

Comment les Lumières ont réinventé la religion des Égyptiens

par Jan Assmann. Traduit de l'allemand par Jean-Marc Tétaz. Éditions Aubier, 2013, 412 p.

Collection historique (dirigée par Alain Corbin et Jean-Claude Schmitt)

ISBN 978-2-7007-0427-3

Introduction

Cet ouvrage, écrit par un égyptologue de renommée internationale, est extrêmement sérieux et bien documenté ; il est cité par Dominique Jardin dans son ouvrage La tradition des francs-maçons[1]. L'auteur est aussi théoricien de la culture. Dans le cadre de ses recherches, il a étudié le concept du secret, et la probabilité d'un monothéisme en Égypte ancienne. Il a confronté ces deux approches dans son travail autour de la perception de l'Égypte au cours des XVIe et XVIIe siècles avec deux livres qu'il a publiés Moïse l'Égyptien [2], et Die Zauberflöte[3], qui replace l'opéra dans son contexte culturel, à Vienne.

Religio Duplex n'est pas une simple compilation de ces travaux, mais une étude conceptuelle et historique, solidement argumentée et documentée. Ce livre met en évidence l'importance que l'Égypte avait pour les francs-maçons, en tant que modèle antique d'une culture divisée entre sphère publique et privée, religion exotérique et ésotérique.

Les sources maçonniques viennent de la grande loge autrichienne, et du Dr Rüdiger Wolf. La bibliothèque de Gotha et celle du directeur du centre de recherches de Gotha, Martin Muslow ont également été consultées.

Contenu

La version originale en allemand compte deux parties :

  1. L'idée de la religion double : histoire et actualité
  2. Matériaux sur la recherche maçonnique à propos des Mystères.

La deuxième partie, qui se base entre autres sur le dépouillement du Journal für Freimaurer, a été placée en annexe dans la version française, et est totalement absente de la version anglaise[4].

Dans la première partie, l'auteur définit et retrace l'histoire du concept de « religio duplex », en citant de très nombreux auteurs qui y ont fait référence, explicitement ou non.

Pour appréhender la complexité de ce travail, rappelons-nous que, dès le début de notre ère, la compréhension des écritures égyptiennes s'était perdue. Assman fait appel à des sources grecques tout d'abord, car à l'époque Ptolémaïque, on avait encore accès à un savoir qui a été oublié ensuite.

Selon lui, il y avait, déjà en Égypte, une religion double. Il fonde cette théorie de la double religion sur la structure de l'écriture, qui était perçue comme double elle aussi (démotique et hiératique étaient confondus par les auteurs de l'époque). L'écriture hiéroglyphique comporte une possibilité de lecture symbolique occulte.

Pour les néo-platoniciens, cette distinction fonde l'existence d'une religion destinée au peuple, et basée sur l'opinion, qui coexiste avec une religion de l'élite, attachée à la recherche de la vérité.

Au cours des siècles, cette notion de religion double a été utilisée pour distinguer d'une part la religion des philosophes et des savants, et d'autre part la religion des Pères, basée sur la tradition.

L'existence de ces deux religions a été justifiée d'abord par les différences de capacités intellectuelles des hommes, qui sont appelées à s'effacer dans un avenir idéal.

Ensuite, on a distingué théologie naturelle et théologie politique. La religion populaire a été utilisée par le pouvoir en place pour fonder son autorité.

A partir du XVIIe siècle, cette notion de double religion, la religion naturelle commune à tous les hommes, et la religion particulière de chaque peuple, a évolué vers le concept de cosmopolitisme, avec l'avènement de la mondialisation.

Jan Assman illustre ce propos à l'aide de son analyse de la franc-maçonnerie du XVIIe siècle, à partir de la réception des connaissances en égyptologie par les Franc-maçons de l'époque.

Le cosmopolitisme permet une double affiliation à une religion d'une part, et à un ensemble de valeurs qui sont communes à l'Humanité entière, comme le respect de la vie, les droits de l'homme, la liberté.

Discussion

Ce livre est sans doute complexe, mais cela vaut la peine de le lire et de le relire au besoin.

Ce qui est intéressant, c'est que l'auteur a retracé l'histoire des connaissances sur l'Égypte, alors que l'essentiel de ces connaissances, comme la signification des hiéroglyphes par exemple, avait été perdu au cours du temps.

Comme l'auteur fait appel à une religion universelle, cosmopolite, se propose-t-il de faire traduire l'ouvrage en arabe ?

Pourquoi la version anglaise ne reprend-elle pas les matériaux maçonniques ?

On a tendance à penser que Mozart, dans La Flûte enchantée, a mis en scène une initiation maçonnique. Or, les initiations n'ont fait appel aux éléments qu'après la traduction en français du livret de la Flûte enchantée, soit en 1811. C'est donc Mozart qui est à l'origine de cette pratique.

Table des matières

Préface

Note du traducteur

Introduction

L'idée de la religion double : histoire et actualité

    1. Les bases égyptiennes : le double sens des signes
    2. Du double sens des signes à la double religion
    3. "Religio Duplex" et théologie politique
    4. La "Religio Duplex" et la franc-maçonnerie
    5. À l'époque de la globalisation : "Religio Duplex" comme double affiliation

Conclusion : rétrospective et prospective

Annexe : Matériaux sur la recherche maçonnique à propos des Mystères

    1. Les francs-maçons à la recherche de leur passé
    2. Beyerle et Starck à propos des Mystères, de la double religion et de la franc-maçonnerie
    3. Les études sur les Mystères dans le Journal für Freymauer

Bibliographie

Index des thèmes

Index des noms

Notes :

[1] La tradition des francs-maçons Histoire et transmission initiatique, Dervy 2014 (Pierre Vivante), ISBN 9791024200668.

[2] Moïse l'Égyptien : un essai d'histoire de la mémoire, Flammarion 2010 (Champs histoire), ISBN 9782081240780.

[3] Zauberflöte : Oper und Mysterium, Hanser 2005, ISBN 9783446206731, non traduit en français.

[4] Elle ne compte que 224 pages, au lieu de 409pour la version française, et 507 pour la version allemande.