Chroniques d'Histoire Maçonnique, n° 76, année 2015.

A noter 2 études :

«Le boulangisme et la loge de Nancy» par Jean-Claude Couturier

«Les Vrais Amis Réunis d'Egypte» par Jean-Pierre Zimmer.

par Jacques Tournan

Cette revue sérieuse offre souvent de très intéressantes monographies de loges ou des biographies de francs-maçons. Pour s'en tenir aux derniers numéros, on relèvera :

  • n° 71 (année 2013) : « Grandes figures maçonniques de la IIIe République »
  • n° 72 (année 2013) : « Brest et la franc-maçonnerie dans les ports »
  • n° 73 (année 2014) : « Histoires de Loges »
  • n° 76 (année 2015) : « Des Loges hors du commun ».

On peut étudier la Maçonnerie sous divers angles : la musique, la philosophie, la religion, les arts, etc. etc. Cette revue l'aborde plutôt d'un point de vue sociologique et politique et ses travaux montrent à merveille l'évolution de la franc-maçonnerie française en fonction des époques.

Voici la Loge « les Vrais Amis Réunis d'Egypte ». Cette loge est fondée lors de l'expédition égyptienne de Bonaparte (1798) avec la bénédiction de l'armée et, pour divertir les troupes, on ouvre aussi, au Caire notamment, des théâtres, des bibliothèques, des pistes de danse... Rentrée en France, la loge est intégrée au Grand Orient De France. Lors de son installation l'orateur rappelle l'origine de cette loge et fait un parallèle tout à fait intéressant. En ce début du XIXe siècle, on sait encore que la Maçonnerie est profondément imprégnée de culture et d'histoire bibliques. Nombre de rituels, à commencer par ceux du Régime Ecossais Rectifié (fin XVIIIe) présentent une histoire de l'initiation vue au travers de l'histoire biblique. Ici l'orateur ne parle plus d'initiation mais établit tout de même un parallèle entre l'épisode biblique de la sortie d'Egypte et le rapatriement de la loge en France. A travers cet exemple, on voit comment petit à petit s'opère le glissement des valeurs traditionnelles. Au XVIIIe siècle la référence à la Bible sert à construire des grades et à promouvoir, expliquer, une carrière initiatique, en ce début du XIXe siècle, cela ne sert plus qu'à raconter le parcours d'une loge et à magnifier l'épopée napoléonienne...

Cette étude rappelle aussi que la loge a une véritable action philanthropique (secours aux indigents) et d'entraide (aide aux frères de passage, aux prisonniers de guerre anglais, aux malades que l'ensemble de la loge vient visiter). Notons enfin que la loge pratique également une Cène lors des fêtes de la Saint Jean d'été 1812 : partage du pain entre frères et coupe d'union.

Autre époque, autre loge, celle de Nancy à l'époque du boulangisme (le général Boulanger s'est suicidé en 1891). A ce moment beaucoup de Loges sont devenues des « bases arrière du parti républicain ». Et sans doute la Maçonnerie se confond alors avec un « réseau de comités et des sociétés républicaines » où l'on propose de se réunir « hors et sans Tenue ». C'est qu'il s'agit d'abord et avant tout de défendre la République en danger. Certes mais où est la Maçonnerie dans tout cela ? Sans doute est-il encore question d'être « fidèles à la tradition (…), de foi », cependant on voit bien de quoi il s'agit et comment le sens des mots « tradition » et « foi » se déplace et se modifie. Il s'agit plus ici d'inspiration biblique mais d'affirmer que la tradition et la foi républicaine de la franc-maçonnerie ont toujours existé. Bien sûr on peut penser cela mais on remarquera alors qu'au XVIIIe siècle, siècle de la fondation de l'Ordre, ceci était bien caché. Pourtant au delà de ces beaux idéaux, la vie de ces loges est surtout rythmée par des règlements de compte pour raisons politiques et l'on se demande si, alors, le mot fraternité existe encore, et je ne parle pas du mot « amour » qui pourrait paraître incongru.

Dans le grand débat sur l'influence réelle ou supposée de la franc-maçonnerie sur la société, c'est le mérite de pareilles revues d'érudition, par des études sur le « terrain », que de montrer que c'est la société qui influence la franc-maçonnerie et non le contraire.