L'École secrète de sagesse
rituels et doctrines authentiques des Illuminés
par Reinhard Markner et Joseph Wäges traduit par Lionel Duvoy, Dervy, 2017
(Cet ouvrage a paru en anglais en 2015)
Curieuse histoire que celle des Illuminés dits de Bavière. Fondée en 1776 par Adam Weishaupt, cette société atteint son apogée en 1783. Apogée bien modeste, il est vrai, puisqu’elle ne regroupera jamais plus de quelques centaines de membres en Allemagne. Ce qui n’empêchera pas de donner naissance à toutes sortes de thèses conspirationnistes dès la fin du XVIIIe siècle avec Augustin Barruel, J. Robison en Angleterre (Proofs of a Conspiracy) et jusqu’à nos jours.
Si le but de cette société secrète non maçonnique est simple, celui de travailler au bonheur de l’humanité et s’oppose aux éléments conservateurs de la société, notamment les Rose-Croix d’Or d’Ancien Système, les Jésuites, etc., son organisation est complexe et hiérarchisée. C’est Adolf von Knigge, au début des années 1780, qui la met au point, remanie les rituels et lui donne un essor relatif. Bode, quant à lui, essayera d’imposer les vues de la société, notamment dans son combat contre les Jésuites, au convent de Wilhelmsbad en 1782, sans y parvenir. Weishaupt lui-même est très marqué par les Jésuites.
Si pour entrer dans la société, il faut être chrétien, l’enseignement est assez éclectique et les candidats doivent tenir une sorte de journal intime qui est remis aux Supérieurs de l’Ordre.
Dans la première classe, qui est la pépinière de la société, le candidat découvre 4 grades dont celui de Minerval (qui trouve sa source chez les « Architectes Africains ») prônant la pratique de la contemplation nocturne dans le silence en s’appuyant sur divers livres de sagesse et pas seulement chrétiens. Ce faisant, il apprend à connaître l’homme dans la perspective de le conduire au bien.
Dans la seconde classe (« Franc-maçonnerie »), on trouve des grades « écossais » qui témoignent d’une influence maçonnique voulue par Knigge. Lui-même était franc-maçon et pensait que la Franc-maçonnerie pourrait être une sorte de propédeutique à l’entrée chez les Illuminés.
Au sommet du système, dans la troisième classe, les « Mystères » sont enfin connus. On découvre le « vrai » christianisme, le « vrai » message du Christ qui ramènera l’humanité à sa vérité originelle.
Ainsi les Illuminés développent une sorte de philosophie de l’histoire, une discipline de l’arcane, réservée à une élite : il aurait toujours existé des écoles secrètes de sagesse dans lesquelles se serait conservée la sagesse originelle, la haute sagesse. La Franc-maçonnerie, elle-même, serait l’héritière, peut-être sans le savoir, de cette sagesse du Christ.
Ils préconisent aussi une méthode d’action dans le monde. Les Illuminés, le bons –dans le secret qui les protégera des persécutions du mal- doivent inciter les humains, qui sont plutôt malléables, au bien et jusqu’à la création d’un gouvernement mondial qui ferait triompher le bien sur le mal comme l’a voulu le Christ.
Mais bientôt Weishaupt et Knigge se brouillent. Les derniers rituels ne sont pas rédigés. En 1785, les Illuminés sont dénigrés, notamment par les philosophes rationalistes, et si Weishaupt essaye, un temps, de justifier son entreprise, il abandonne bientôt la partie. La légende est alors en marche.
Ce livre est une somme incontournable sur le sujet. Il en ressort une image assez différente des images d’Epinal sur les Illuminés de Bavière (et non « Illuminati » comme on l’écrit trop souvent à tord surtout depuis Dan Brown et consorts).
Au vrai cette société qui a fait couler tant d’encre et suscité tant de phantasmes est, dans l’ensemble, bien banale. En tant que telle, c’est un non-évènement historique qui dure moins d’une dizaine d’années et regroupe bien peu de monde. De plus, c’est un système inachevé dont les textes d’instructions n’ont pas été terminés. Son enseignement est une combinaison de mythes très courants au XVIIIe siècle (et après) :
- la société secrète ;
- les supérieurs « inconnus »
- la religio duplex, c’est-à-dire la religion double : une pour le peuple, avec ses fables, et une pour les élites qui le conduisent ; le tout mâtiné d’une apparence maçonnique qui recouvre un ordre intérieur.
Mais, à la différence des sociétés de son temps, ce qui caractérise les Illuminés, ce n’est pas un « ésotérisme » comme celui des Rose-Croix ou de la Stricte Observance, c’est son projet politique, au sens de ce terme à l’époque des Lumières : sélectionner et fabriquer une élite pour créer, par le biais d’un gouvernement mondial, un homme nouveau, une humanité nouvelle. Deux siècles et demi plus tard, nous connaissons les conséquences terribles de ce projet effrayant et l’on peut dire que, dans une certaine mesure, les Illuminés représentent la face noire des Lumières et annoncent les totalitarismes modernes.
Dans la bibliographie, signalons l’ouvrage de René Leforestier, Les Illuminés de Bavière et la Franc-maçonnerie allemande, Paris, Archè, Milan (réimpr. 2001) (1re éd. 1915). Ce livre cite des documents depuis lors détruits par la guerre.